La Légion Des Damnés
décrire Lengries. Que chacun m'attribue, s'il le désire, un motif de son choix... Mais que personne n'oublie, cependant, que ce sont les incrédules, ceux-là mêmes dont l'imagination préférera se fermer devant la vérité, qui devront porter la plus grande part de notre culpabilité future, si tous les Lengries du monde ne sont pas implacablement recherchés et détruits dans l'œuf, partout où ils risquent d'apparaître. Inutile de citer des noms, des lieux, des nations : à quoi bon ces heurts d'idéologies où chaque pays, chaque « bloc » est toujours tellement occupé à s'offenser de la conduite des autres qu'il ne songe pas un instant à examiner, encore moins à réformer la sienne !
Voici Lengries :
Un jeune Feldwebel, condamné à trente ans de travaux forcés pour sabotage du Reich, avait été surpris alors qu'il tentait de passer un petit morceau de savon à l'une des prisonnières. Le garde appela l'Obersturmführer Stein, chef de la section, un homme doté d'une imagination particulièrement féconde :
— Qu'est-ce que j'apprends à votre sujet, mes tourtereaux ? Vous êtes fiancés, je suppose ? Eh bien, mais il faut fêter ça !
Tout l'étage reçut l'ordre de descendre dans une des cours. Les deux jeunes gens, eux, reçurent l'ordre de se dévêtir. C'était la veille de Noël et des flocons de neige voltigeaient autour de nous.
— Et maintenant, un peu de fornication, mes enfants ! dit Stein.
Les harengs marinés dans le vinaigre qu'on nous servait de loin en loin étaient impropres à la consommation, mais nous les mangions tout de même, tête, arêtes, écailles et le reste. Quand nous étions dans nos cellules, nous avions les mains enchaînées derrière le dos. Nous mangions donc à plat ventre, la face dans l'écuelle, comme des porcs. Nous avions trois minutes pour manger, dévorer une nourriture souvent brûlante.
Et quand il y a des exécutions au programme :
Ces jours-là commençaient par des coups de sifflet, tandis que la sonnerie d'alarme carillonnait à différentes reprises, indiquant quels « étages » devaient descendre. Au premier coup de sifflet, il fallait bondir au garde-à-vous, face à la porte de la cellule. Au second coup de sifflet, tout le monde commençait à marquer le pas : ploum, ploum, ploum. Puis un mécanisme manœuvré par un SS ouvrait en même temps toutes les portes, mais on continuait à marquer le pas dans les cellules jusqu'à ce que retentît un troisième coup de sifflet.
Une fois dans la cour, nous formions un demi-cercle autour de l'échafaud, estrade de trois mètres de haut supportant dix-huit potences. Dix-huit potences avec dix-huit nœuds coulants, mollement bercés par le vent. Au pied de l'estrade, attendaient dix-huit cercueils béants de bois brut.
Les hommes portaient leur pantalon rayé, les femmes leur jupe rayée, mais rien d'autre. L'adjudant lisait les sentences de mort, puis les condamnés montaient sur l'échafaud, chacun s'arrêtant, en bon ordre, au-dessous de sa corde. Manches relevées, deux SS faisaient office de bourreaux, et quand tous les cadavres se balançaient au bout des cordes, l'urine et les excréments coulant le long des jambes, un médecin SS venait jeter au tableau un coup d'œil indifférent, indiquait aux bourreaux, d'un geste, que tout était régulier. On descendait alors les cadavres qu'on jetait aussitôt dans les cercueils grossiers.
Mais si quelqu'un souhaite en savoir davantage sur la mort, je peux lui parler du Sturmbannführer Schendrich. Il était jeune, beau, élégant, toujours poli, amical et paisible, mais craint des SS mêmes qu'il commandait.
— Voyons, un peu, dit-il, un samedi soir, au terme d'un appel, voyons un peu si vous avez bien saisi toutes mes explications. Je vais essayer de donner un ordre simple à quelques-uns d'entre vous, et nous jugerons, tous ensemble, s'il a été ou non proprement exécuté.
Il appela cinq hommes hors des rangs, leur commanda de se tourner vers le mur d'enceinte de la prison, dont il nous était strictement interdit de nous approcher à moins de cinq mètres.
— En avant... Marche !
Regardant droit devant eux, les cinq hommes marchèrent vers le mur, et tombèrent sous les balles des gardes postés dans les miradors.
De nouveau, Schendrich nous fit face.
— Que demander de plus ? Voilà comment on doit exécuter un ordre ! Maintenant, vous allez vous agenouiller, à mon commandement, et répéter après moi ce que je vais
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