LA LETTRE ÉCARLATE
plus fervents admirateurs comme un apôtre, un envoyé du ciel destiné, pour peu qu’il vécût et travaillât le temps d’une vie ordinaire, à faire d’aussi grandes choses pour l’Église, encore jeune et faible de la Nouvelle-Angleterre, que les Pères de l’Église en accomplirent pendant l’enfance de la foi chrétienne. Seulement, vers l’époque dont nous parlons, la santé de ce précieux ministre du Seigneur avait de toute évidence commencé à fléchir. Ceux qui connaissaient le mieux ses habitudes expliquaient sa pâleur par sa trop grande application à l’étude, par le trop scrupuleux accomplissement de ses devoirs de chef de paroisse et, surtout, par les jeûnes et les veilles qu’il mettait souvent en pratique afin d’empêcher la grossièreté de notre état terrestre de ternir les clartés de sa lampe spirituelle. Bien des gens déclaraient aussi que si Messire Dimmesdale allait vraiment mourir c’était tout simplement parce que le monde n’était pas digne d’être plus longtemps foulé par ses pieds.
Il protestait, lui, avec une humilité caractéristique, que si la Providence jugeait bon de le retirer de ce monde c’était parce qu’il était indigne d’accomplir son humble mission.
Quelles que fussent les causes du déclin de ses forces, nul ne pouvait en tout cas mettre le fait en doute. Le Révérend Dimmesdale s’émaciait. Sa voix, bien que toujours vibrante et douce, semblait par certaines notes mélancoliques prophétiser que bientôt on ne l’entendrait plus. On le voyait souvent mettre, à la suite du plus léger incident, à l’ombre d’une alarme, sa main sur son cœur tandis qu’une rougeur subite, remplacée aussitôt par une grande pâleur, révélait l’assaut d’une souffrance.
Le jeune pasteur en était donc là, cette jeune lumière paraissait devoir s’éteindre bien trop tôt, lorsque arriva Roger Chillingworth. Sa première entrée en scène, qu’il exécuta sans que presque personne pût dire d’où il venait, comme s’il était tombé du ciel ou avait jailli des entrailles de la terre, avait eu un air de mystère qui tourna aisément au miraculeux. À présent, il était reconnu comme un homme de talent. On avait pu observer qu’il récoltait des herbes et des fleurs sauvages, extrayait des racines, cassait de menus rameaux aux arbres de la forêt, en personnage qui connaît des vertus à des choses sans valeur aux yeux du commun. On l’entendait parler de Sir Kenelm Digby {58} et d’autres hommes célèbres – dont les connaissances scientifiques passaient pour être à peine au-dessous du surnaturel – comme ayant été ses correspondants ou ses confrères. Pourquoi, occupant une place pareille dans le monde savant, était-il venu ici ? Alors que sa sphère était dans les grandes villes, que pouvait-il être venu chercher dans ce pays sauvage ? En réponse à ces questions, une rumeur gagna du terrain que, tout absurde qu’elle fût, bien des gens de bon sens accueillirent : Dieu aurait accompli un miracle en règle, transporté, à travers les airs, d’une Université allemande à la porte du Révérend Dimmesdale, un éminent docteur en médecine ! Des gens à la foi plus raisonnable, qui savaient que la Providence accomplit ses desseins sans ces effets de scène que l’on nomme interventions miraculeuses, n’en étaient pas moins enclins à voir la main de Dieu dans l’arrivée si opportune de Roger Chillingworth. Cette opinion était renforcée par le grand intérêt que le médecin avait toujours manifesté envers le jeune pasteur. Après s’être attaché à lui à titre de paroissien, il s’était efforcé de gagner l’amitié et la confiance de cette nature réservée et sensible. Il se montrait fort alarmé par l’état de santé de son pasteur mais désireux de tenter une cure qui, entreprise sans retard, pouvait laisser espérer un heureux résultat. Les prud’hommes, les diacres, les matrones et les gracieuses jouvencelles de son troupeau importunèrent à l’envi le Révérend Dimmesdale pour qu’il essayât d’un art si franchement mis à sa disposition. Le Révérend Dimmesdale repoussait doucement ces instances : « Je n’ai pas besoin de médecines », disait-il.
Mais comment pouvait-il parler ainsi quand dimanche après dimanche ses joues émaciées étaient plus pâles et sa voix plus faible ? Quand presser sa main contre son cœur était devenu, au lieu d’un geste qu’on fait une fois en
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