LA LETTRE ÉCARLATE
coude sur le rebord de la fenêtre, ouverte sur le cimetière, le Révérend Dimmesdale causait avec Roger Chillingworth tandis que le vieil homme examinait un tas de plantes fort laides à voir.
– Où, demanda-t-il en jetant sur ces plantes un coup d’œil de côté (car c’était devenu une de ses particularités de ne plus regarder en face que rarement qui ou quoi que ce fût) où, mon bon docteur, avez-vous ramassé ces herbes aux feuilles sombres et flasques ?
– Dans le cimetière ici près, répondit le médecin en poursuivant sa besogne. Elles sont pour moi nouvelles. Je les ai trouvées sur une tombe que ne couvrait nulle pierre tombale ; où ne s’érigeait d’autre signe commémoratif du mort que ces vilaines herbes sorties de terre pour perpétuer son souvenir. Elles prirent racine en son cœur et représentent peut-être quelque secret hideux qui fut enterré avec lui et qu’il eût mieux fait de confesser de son vivant.
– Peut-être, dit le Révérend Dimmesdale, qu’il désirait fort le faire mais ne put.
– Et pourquoi, répliqua le médecin, pourquoi se fût-il abstenu ? Alors que les forces de la nature poussent si fortement aux aveux que ces herbes noires ont jailli d’un cœur mis en terre pour rendre manifeste son crime non confessé ?
– Ceci, mon bon seigneur, n’est qu’une fantaisie de votre création, répondit le pasteur. Il ne saurait y avoir, si je ne me trompe, nul pouvoir en dehors de la miséricorde divine, pour révéler sous forme de paroles ou d’emblèmes les secrets qui peuvent s’ensevelir avec un cœur humain. Le cœur qui se rend coupable des secrets que vous dites doit être forcé de les garder jusqu’au jour où toutes choses cachées seront mises en lumière. Les Saintes Écritures ne m’ont jamais donné à croire que les révélations des pensées et des actes humains seront faites alors à titre de châtiment. C’est assurément une interprétation superficielle. Non, ces révélations, à moins que je n’erre grandement, ne visent d’autre but que la satisfaction des esprits intelligents qui, ce jour-là, attendront qu’on leur rende intelligible la sombre énigme de cette vie. La connaissance du cœur humain sera indispensable à la solution de pareil problème. Je me figure, par conséquent, que les cœurs qui contiennent ces misérables secrets les livreront, en ce jour dernier, non de mauvais gré mais avec une joie inexprimable.
– Mais pourquoi ne les point révéler ici-bas ? demanda Roger Chillingworth d’un ton tranquille avec un coup d’œil de côté à son compagnon. Pourquoi les coupables se privent-ils d’un soulagement qui doit être, lui aussi, inexprimable ?
– Ils les révèlent pour la plupart, dit le pasteur en appuyant très fort sa main contre sa poitrine comme s’il eût ressenti un importun élancement de souffrance. Maintes et maintes pauvres âmes se sont confiées à moi non seulement sur leur lit de mort, mais tandis qu’elles étaient en pleine vie et hautement considérées. Et après ces épanchements, quel soulagement n’ai-je point constaté toujours chez ces frères coupables ! Comme s’ils avaient enfin aspiré un air pur après avoir été longtemps oppressés par l’impureté de leur propre souffle. Il ne saurait en aller autrement. Pourquoi un malheureux, coupable, par exemple, de meurtre, préférerait-il garder le cadavre de sa victime dans son propre cœur plutôt que de le rejeter loin de lui et laisser l’univers en prendre soin ?
– Cependant, certains hommes ensevelissent ainsi leur secret en eux-mêmes, fit observer le paisible médecin.
– C’est vrai, des hommes pareils existent, repartit le Révérend Dimmesdale, mais, pour ne pas donner de raisons plus évidentes de leur conduite, cela tient peut-être à une particularité de leur constitution. Et ne pouvons-nous également supposer que, pour coupables qu’ils soient, ces hommes demeurent tout de même animés de zèle envers la gloire de Dieu et le salut des hommes et reculent, dès lors, devant un acte qui les montrerait noirs et repoussants aux yeux de tous ? Ils ne pourraient, en effet, plus rien faire de bon ensuite, ni racheter le mal passé par des services présents. Ainsi vont-ils et viennent-ils, pour leur plus grand tourment, parmi leurs compagnons, aussi purs d’apparence que la neige frais tombée, tandis que leurs cœurs sont noircis par les marques indélébiles du péché.
– Ces
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