LA LETTRE ÉCARLATE
d’une nature d’esprit plus robuste que la sienne – de ces gens à la fois inflexibles et circonspects qui, si on leur ajoute une dose convenable de connaissance des dogmes, constituent une variété extrêmement respectable, efficace et désagréable de l’espèce cléricale. Il y en avait, enfin, d’autres – des saints véritables ceux-là – dont les facultés s’étaient développées grâce à un épuisant et patient labeur de la pensée. Tout s’était spiritualisé en eux, en même temps, grâce à des communications avec ce monde meilleur où la pureté de leur vie semblait presque leur donner déjà accès en dépit de leur enveloppe mortelle. Il ne leur manquait que ce don dévolu aux disciples élus le jour de Pentecôte et qui symbolisait, semblerait-il, plutôt que le pouvoir de parler en langues inconnues, celui de s’adresser à toute la grande famille humaine dans la langue universelle du cœur. À ces personnages, par ailleurs si proches des apôtres, il manquait le dernier et plus rare signe de leur mission – la langue de feu. En vain se fussent-ils efforcés d’exprimer les vérités les plus hautes par l’humble entremise des images et des mots familiers. Leurs voix descendaient, lointaines et indistinctes, des hauts sommets où ils habitaient ordinairement.
Par plusieurs traits de son caractère le Révérend Dimmesdale semblait bien appartenir à cette dernière classe d’hommes. Il eût gravi les plus hauts sommets de la sainteté sans le fardeau de crime et d’angoisse sous lequel c’était son destin de chanceler. Ce fardeau le maintenait au niveau des êtres les plus bas, lui, l’homme aux qualités si élevées qu’à sa voix les anges eussent pu, autrement, se montrer attentifs et répondre ! Mais ce même fardeau le mettait en étroite sympathie avec toute l’humaine confrérie des pécheurs. Aussi son cœur vibrait-il à l’unisson de mille autres cœurs. Se chargeant de leurs peines, il envoyait palpiter en eux les élancements de sa peine à lui à chaque élan de son éloquence – une éloquence persuasive par la tristesse et la douceur le plus souvent, mais parfois aussi terrible ! Les gens ne savaient pas quel pouvoir les remuait ainsi. Ils tenaient le jeune clergyman pour un miracle de sainteté. Ils le voyaient comme l’interprète de divins messages de sagesse, de réprobation, d’amour. À leurs yeux, la terre même qu’il foulait était sanctifiée. Les vierges de sa paroisse pâlissaient autour de lui, victimes d’une passion tellement imprégnée de sentiment religieux qu’elles la croyaient entièrement religieuse et la portaient ouvertement, au pied des autels, sur leurs blanches poitrines comme leur plus méritoire sacrifice. Les vieillards de son troupeau, le voyant si faible quand, avec toutes leurs infirmités, ils se sentaient eux-mêmes si robustes, croyaient qu’il irait au ciel avant eux et ordonnaient à leurs enfants de les faire ensevelir près de la tombe sainte de leur jeune pasteur. Ceci alors que, en pensant lui-même à sa tombe, le pauvre Révérend Dimmesdale se demandait peut-être si l’herbe pousserait jamais dessus tant serait maudite sa dépouille !
On ne saurait concevoir à quel point cette vénération publique le torturait. Il était naturellement porté à adorer la vérité, à ne tenir que pour des ombres totalement dénuées de valeur et de poids tout ce que ne pénétrait pas son essence divine. Dès lors, qu’était-il lui ? à ses propres yeux ? une substance ? ou la plus impalpable des ombres ? Il avait envie de tout dire du haut de la chaire et à pleine voix, de s’écrier : « Moi qui vous apparais revêtu des vêtements du prêtre, moi qui monte en cette tribune sacrée et lève vers le ciel un visage pâle et prétends communier pour l’amour de vous avec la pensée omnisciente ; moi en la vie quotidienne de qui vous voyez une image de la vie d’Énoch {64} ; moi dont les pas laissent, selon vous, une trace lumineuse sur cette terre afin que les pèlerins à venir soient guidés vers le séjour des élus ; moi dont la main a baptisé vos enfants, dont la voix a murmuré l’ Amen de la prière d’adieu aux oreilles de vos amis mourants, moi, votre pasteur, que vous vénérez tellement, en qui vous avez tellement confiance, je ne suis, moi, que souillure et mensonge ! »
Oui, plus d’une fois, le Révérend Dimmesdale était monté en chaire avec l’intention de n’en point
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