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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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il vous faut rentrer à Paris ainsi que je vous le
demande. Vous savez combien je vous aime. Votre père était mon beau-frère.
Entendez-moi comme vous l’entendriez, si Dieu nous l’avait conservé. La main
qui a frappé Louis peut poursuivre sa vengeance sur vous et sur votre fruit. Je
ne saurais vous laisser ainsi, au milieu de la forêt, livrée aux entreprises
des méchants, et je n’aurai de paix que vous ne soyez établie au plus près de
moi.
    Depuis une heure, Valois s’efforçait
d’obtenir de Clémence qu’elle regagnât le palais de la Cité, parce qu’il avait
décidé de s’y transporter lui-même. Ceci formait pièce du plan qu’il avait
conçu pour s’imposer dans la fonction de régent. Qui commandait en maître au
Palais prenait figure royale. Mais, à s’y installer seul, Valois courait le
risque que ses adversaires l’accusassent de coup de force ou d’usurpation. Si,
au contraire, il entrait dans la Cité derrière sa nièce Clémence, comme son
plus proche parent et protecteur, personne ne pourrait validement s’y opposer
et le Conseil des pairs se trouverait devant le fait accompli. Le ventre de la
reine était, dans le moment présent, le meilleur gage de prestige et le plus
efficace outil de gouvernement.
    Clémence leva les yeux, comme pour
demander assistance, vers un troisième personnage, un homme bedonnant,
grisonnant qui se tenait debout auprès d’elle, et, immobile, les mains croisées
sur la garde d’une haute épée, suivait silencieusement l’entretien.
    — Bouville, que dois-je
faire ? murmura-t-elle.
    L’ancien grand chambellan de
Philippe le Bel, nommé curateur au ventre aussitôt après la mort du Hutin,
avait pris sa nouvelle mission plus qu’au sérieux, au tragique. Ce brave
seigneur, serviteur exemplaire de la maison royale, avait constitué une garde
de vingt-quatre gentilshommes soigneusement choisis, qui se relayaient par
groupes de six à la porte de la reine. Lui-même s’était habillé en guerre, et
il suait à grosses gouttes, par la chaleur de juin, sous sa cotte de mailles.
Les murs, les cours, les abords de Vincennes, étaient truffés d’archers. Chaque
valet de cuisine devait être en permanence escorté d’un sergent. Même les dames
de parage étaient fouillées avant de pénétrer dans les appartements. Jamais vie
humaine n’avait été plus étroitement protégée que celle qui sommeillait dans le
sein de la reine de France.
    Bouville partageait sa charge avec
le vieux sire de Joinville. Mais le sénéchal héréditaire de Champagne, le
compagnon de Saint Louis, avait maintenant quatre-vingt-douze ans, ce qui
faisait de lui, probablement, le doyen de la haute noblesse française. Il était
à demi aveugle, et aspirait surtout à regagner, comme chaque été, son château
de Wassy sur la Marne, où il vivait somptueusement du revenu des dotations à
lui accordées par trois rois. En venté, il somnolait la plus grande partie du
temps, et toutes les tâches incombaient à Bouville.
    Celui-ci, aux yeux de Clémence,
représentait les souvenirs heureux. Ambassadeur d’abord venu pour demander sa
main, puis pour la conduire de Naples jusqu’en France, il était son confident
et sans doute le seul ami véritable qu’elle comptât à la cour.
    Bouville comprit bien que Clémence
ne voulait pas bouger de Vincennes.
    — Monseigneur, dit-il à Valois,
je puis mieux assurer la garde de la reine dans ce manoir étroitement clos de
murailles que dans le grand palais de la Cité ouvert à tout venant. Et si c’est
le voisinage de la comtesse Mahaut que vous redoutez, je puis vous apprendre,
car on me tient informé de tous les mouvements d’alentour, que Madame Mahaut
fait en ce moment charger ses chariots pour Paris.
    Valois ne laissait pas d’être assez
agacé de l’autorité prise par Bouville depuis qu’il était curateur, et de son
insistance à demeurer là, planté sur son épée, à côté de la reine.
    — Messire Hugues, dit-il avec
hauteur, vous avez charge de veiller au ventre, et non de décider de la
résidence de la famille royale ni de défendre à vous seul tout le royaume.
    Sans se troubler, Bouville
répondit :
    — Dois-je aussi vous faire
observer, Monseigneur, que la reine ne peut se montrer avant quarante jours
écoulés depuis son deuil ?
    — Je vous en remercie ;
mais je connais aussi bien que vous les usages, Bouville. Qui vous dit que la
reine devra se montrer ? Nous la ferons cheminer en char

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