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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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avides qui l’entouraient achevaient de le faire haïr.
    Inutile, impuissante, la reine
assistait à cette ambulante déchéance. Des sentiments contraires la
divisaient ; d’une part, sa nature vraiment royale, marquée par l’atavisme
capétien, s’irritait, s’indignait, souffrait de cette dégradation continue de
l’autorité souveraine ; mais en même temps l’épouse lésée, blessée, menacée,
se réjouissait secrètement à chaque nouvel ennemi que se créait le roi. Elle ne
comprenait pas qu’elle eût pu aimer, naguère, ou se forcer d’aimer, un être à
ce point méprisable, et qui la traitait de façon si odieuse. Pourquoi
l’obligeait-on de participer à ces voyages, pourquoi la montrait-on, reine
bafouée, à tout le royaume ? Le roi et son favori pensaient-ils duper
personne, et donner à leur liaison un aspect innocent, du fait de sa
présence ? Ou bien voulaient-ils la garder sous surveillance ? Comme
elle eût préféré demeurer à Londres ou à Windsor, ou même dans l’un des
châteaux dont on lui avait théoriquement fait don, pour y attendre un retour du
sort ou simplement la vieillesse ! Et comme elle regrettait surtout que
Thomas de Lancastre et Roger Mortimer de Wigmore, ces grands barons vraiment
hommes, n’aient pas, l’autre année, réussi leur révolte…
    Elle leva vers le comte de Bouville,
envoyé de la cour de France, ses admirables yeux bleus, et dit assez bas :
    — Depuis un mois, vous assistez
à ma vie, messire Hugues. Je ne vous demande même point d’en conter les misères
à mon frère, ni à mon oncle Valois. Voici quatre rois qui se succèdent au trône
de France : mon père le roi Philippe, qui me maria pour l’intérêt de la
couronne…
    — Que Dieu garde son âme,
Madame, que Dieu la garde ! dit avec conviction, mais sans élever le ton,
le gros Bouville. Il n’est homme au monde que j’aie plus aimé, ni servi avec
plus de joie.
    — … puis mon frère Louis,
qui resta peu de mois au trône, puis mon frère Philippe avec lequel je n’avais
que petite entente mais qui ne manquait pas de sagesse…
    Le visage de Bouville se renfrogna
un peu comme chaque fois qu’on parlait devant lui du roi Philippe le Long.
    — … enfin mon frère
Charles qui règne présentement, poursuivit la reine. Tous ont été avertis de
mon état, et ils n’ont rien pu faire, ou rien voulu faire. L’Angleterre
n’intéresse les rois de France qu’autant qu’il s’agit de l’Aquitaine. Une
princesse de France sur le trône anglais, parce qu’elle devient du même coup
duchesse d’Aquitaine, leur est un gage de paix. Et si la Guyenne est calme, peu
leur chaut que leur fille ou leur sœur, au-delà de la mer, meure de honte et de
délaissement. Dites-le, ne le dites point, cela sera tout égal. Mais les jours
que vous avez passés près de moi m’ont été doux, car j’ai pu parler devant un
ami. Et vous avez vu combien j’en ai peu. Sans ma chère Lady Jeanne, qui met
beaucoup de constance à partager mon malheur, je n’en aurais même aucun.
    Pour prononcer ces derniers mots, la
reine s’était tournée vers sa dame de parage assise à côté d’elle, Jeanne
Mortimer, petite-nièce du fameux sénéchal de Joinville, une grande femme de
trente-sept ans aux traits réguliers, au visage ouvert, aux mains nettes.
    — Madame, répondit Lady Jeanne,
vous faites plus pour soutenir mon courage que je ne fais pour accroître le
vôtre. Et vous avez pris de gros risques à me conserver à vos côtés depuis que
mon époux est en geôle.
    Les trois interlocuteurs
continuèrent de s’entretenir à mi-voix, car le chuchotement, la conversation en
aparté, étaient devenus une nécessaire habitude dans cette cour où l’on n’était
jamais seul et où la reine vivait environnée de malveillances.
    En ce moment présent, trois
chambrières, dans un coin de la pièce, brodaient une courtepointe destinée à
Lady Aliénor Le Despenser, la femme du favori, laquelle, près d’une fenêtre
ouverte, jouait aux échecs avec le prince héritier. Un peu plus loin, le second
fils de la reine, qui avait atteint ses sept ans depuis trois semaines, se
fabriquait un arc avec une baguette de coudrier ; et les deux petites
filles, Isabelle et Jeanne, cinq et deux ans, assises sur le sol, s’amusaient à
manier des poupées de chiffon.
    Tout en poussant les pièces sur
l’échiquier d’ivoire, la Despenser ne cessait d’épier la reine et s’efforçait
de

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