La Louve de France
nouvelle,
Madame ? s’écria le roi Édouard s’adressant à la reine. Elle va certes
vous contenter. Votre Mortimer s’est échappé de la Tour.
Lady Le Despenser sursauta devant
l’échiquier et fit entendre une exclamation indignée comme si l’évasion du
baron de Wigmore était pour elle une insulte personnelle.
La reine Isabelle n’avait pas bougé,
ni d’attitude ni d’expression ; ses paupières simplement battirent un peu
plus vite devant ses beaux yeux bleus, et sa main chercha furtivement, le long
des plis de sa robe, la main de Lady Mortimer, comme pour inciter celle-ci à la
force et au calme. Le gros Bouville s’était levé et se tenait en retrait, se
sentant de trop dans cette affaire qui regardait uniquement la couronne
anglaise.
— Ce n’est pas
« mon » Mortimer, Sire, répondit la reine. Le Lord de Wigmore est
votre sujet davantage, je crois, qu’il n’est le mien, et je ne suis pas
comptable des actes de vos barons. Vous teniez celui-ci en geôle ; il a
cherché à s’enfuir, c’est la loi commune.
— Ah ! Vous avouez bien
par là que vous l’approuvez. Mais laissez donc paraître votre joie,
Madame ! Du temps que ce Mortimer daignait se montrer à ma cour vous
n’aviez d’yeux que pour lui, vous ne cessiez de vanter ses mérites, et toutes ses
félonies à mon endroit, vous les mettiez au compte de sa noblesse d’âme.
— Mais n’est-ce pas vous-même,
Sire mon époux, qui m’avez appris à l’aimer, du temps qu’il conquérait, à votre
place et au péril de ses jours, le royaume d’Irlande… que vous avez, il semble,
grand-peine à tenir sans lui. Était-ce là félonie [13] ?
Un instant démonté par cette
attaque, Edouard lança vers sa femme un regard méchant et ne sut que
répondre :
— Eh bien, à présent il court,
votre ami, il court, et vers votre pays sans doute !
Le roi, tout en parlant, marchait à
travers la pièce, pour libérer une agitation inutile. Les bijoux accrochés sur
ses vêtements tressautaient à chacun de ses pas. Et les assistants tournaient
la tête de droite à gauche, comme à une partie de longue paume, pour suivre son
déplacement. Un fort bel homme, certes, le roi Edouard, musclé, alerte, souple,
et dont le corps, entretenu par les exercices et les jeux, résistait à
l’empâtement de la quarantaine toute proche ; une constitution d’athlète.
Mais à l’observer avec plus d’attention, on était frappé par le manque de rides
au front, comme si les soucis du pouvoir n’avaient pu s’y inscrire, par les
poches qui commençaient à se former sous les yeux, par le dessin effacé de la
narine, par la forme allongée du menton sous la barbe légère et frisée, non pas
un menton énergique, autoritaire, ni même vraiment sensuel, mais simplement
trop grand, tombant trop bas. Il y avait vingt fois plus de volonté dans le
petit menton de la reine que dans cette mâchoire ovoïde dont la barbe soyeuse
ne parvenait pas à couvrir la faiblesse. La main était molle qui glissait sur
le visage, tournoyait en l’air, sans raison, revenait tirer sur une perle
cousue aux broderies de la cotte. La voix, qui se voulait, qui se croyait
impérieuse, ne donnait d’autre impression que de manquer de contrôle. Le dos,
un dos large pourtant, avait de déplaisantes ondulations depuis la nuque
jusqu’aux reins, comme si l’épine dorsale eût manqué de solidité. Édouard ne
pardonnait pas à sa femme de lui avoir un jour conseillé d’éviter d’offrir le
dos aux regards, s’il voulait inspirer le respect à ses barons. Le genou était
bien net, la jambe belle ; c’était même là ce que possédait de mieux cet
homme si peu fait pour sa charge, et sur lequel une couronne était tombée par
une vraie mégarde du sort.
— N’ai-je pas assez de tracas,
n’ai-je pas assez de tourments ? continuait-il. Les Écossais menacent sans
cesse mes frontières, envahissent mon royaume ; et quand je les affronte
en bataille, mes armées s’enfuient. Et comment pourrais-je les vaincre lorsque
mes évêques s’entendent pour traiter avec eux, sans mon accord, lorsque j’ai
tant de traîtres parmi mes vassaux, et que mes barons des Marches lèvent des
troupes contre moi en s’obstinant à prétendre qu’ils ne tiennent leurs terres
que de leur épée, alors que depuis beau temps, depuis vingt-cinq années,
l’oublie-t-on, il en a été jugé et réglé autrement par le roi Édouard mon
père ! Mais on a vu à
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