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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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surprendre ses propos. Le front lisse mais étonnamment étroit, les yeux
ardents et rapprochés, la lippe ironique, cette femme, sans être vraiment
disgracieuse, était marquée de la laideur qui vient d’une mauvaise âme.
Descendante de la famille de Clare, elle avait suivi une assez étrange carrière
puisque, belle-sœur de l’ancien amant du roi, le chevalier de Gaveston, exécuté
onze ans plus tôt, en 1312, par les barons révoltés, elle était l’épouse de
l’amant actuel. Elle trouvait une délectation morbide à servir les amours
masculines pour satisfaire ses appétits d’argent comme ses ambitions de
puissance. En plus elle était sotte : elle allait perdre sa partie
d’échecs pour le seul plaisir de lancer, sur un ton de provocation :
    — Échec à la reine… échec à la
reine !
    Le prince héritier, Édouard, enfant
de onze ans au visage fin et allongé, de nature secrète plutôt que timide, et
qui tenait presque toujours les yeux baissés, profitait des moindres fautes de
sa partenaire et s’appliquait à vaincre.
    La brise d’août envoyait par la
fenêtre étroite, au cintre rond, des bouffées de poussière chaude ; mais
quand le soleil tout à l’heure aurait disparu, une fraîcheur humide
s’installerait à nouveau entre les murs épais et sombres du vieux prieuré de
Kirkham.
    Des bruits de voix nombreuses
venaient de la grand-salle du chapitre où le roi tenait son Conseil ambulant.
    — Madame, poursuivait le comte
de Bouville, je vous consacrerais volontiers tous les jours qui me restent à
vivre s’ils pouvaient vous être de quelque service. J’y aurais plaisir, je vous
l’assure. Que me reste-t-il à faire en ce bas monde depuis que je suis veuf,
sinon employer mes forces à servir les descendants du roi qui fut mon
bienfaiteur ? Et c’est près de vous, Madame, que je me retrouve le plus auprès
de lui. Vous avez toute sa force d’âme et ses manières de parler, quand il
voulait bien le faire, et toute sa beauté, inaccessible au temps. Quand il fut
frappé de mort, à quarante-six ans, c’est à peine s’il en paraissait plus de
trente. Vous serez ainsi. Dirait-on que vous avez eu ces quatre enfants…
    Un sourire éclaira les traits de la
reine. Il lui était bon, entourée de tant de haines, de voir un dévouement
s’offrir à elle ; il lui était doux, humiliée comme elle l’était dans ses
sentiments de femme, d’entendre louer sa beauté, même si le compliment venait
d’un gros homme grisonnant aux yeux de vieux chien fidèle.
    — J’ai trente et un ans déjà,
dit-elle, dont quinze se sont passés de la façon que vous voyez. Cela ne se
marque peut-être pas au visage ; mais c’est l’âme qui porte les rides… Moi
aussi, Bouville, je vous garderais volontiers près de moi, s’il était possible.
    — Hélas, Madame ! Je vois
ma mission finir, et sans grand succès. Le roi Édouard me l’a déjà fait
entendre, par deux fois, en feignant de s’étonner, puisqu’il avait livré le
Lombard au Parlement du roi de France, que je fusse encore là.
    Car le prétexte officiel à
l’ambassade de Bouville était la demande d’extradition d’un certain Thomas
Henry, membre de l’importante compagnie des Scali, de Florence. Ce banquier,
ayant affermé certaines terres de la couronne de France, en avait touché les
revenus considérables mais sans payer jamais ce qu’il devait au Trésor, et
finalement avait fui en Angleterre. L’affaire était sérieuse certes, mais elle
aurait fort bien pu se régler par lettre, ou par l’envoi d’un maître des
requêtes, sans exiger le déplacement d’un ancien grand chambellan qui siégeait
au Conseil étroit. En vérité, Bouville avait été chargé de renouer une autre
négociation, plus difficile.
    Monseigneur Charles de Valois, oncle
du roi de France et de la reine Isabelle, s’était mis en tête, l’année
précédente, de marier l’une de ses dernières filles, Marie, au prince Édouard,
héritier d’Angleterre. Monseigneur de Valois – qui donc pouvait l’ignorer
en Europe ? – était père de sept filles dont l’établissement avait
toujours été pour lui l’objet de graves soucis. Ses sept filles lui venaient de
trois mariages différents, Monseigneur Charles ayant eu, au cours de son
existence agitée, l’infortune de rester deux fois veuf.
    Il fallait avoir la cervelle claire
pour ne point se perdre dans la confusion de cette descendance, et savoir, par
exemple,

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