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La Louve de France

La Louve de France

Titel: La Louve de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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avait pas de
tréteaux dans la pièce. Et parmi tant de choses étranges qui se passaient
autour du roi, cette table tenue à bout de bras par un géant devenait l’objet
le plus insolite, le plus effrayant. Comment pouvait-on tuer avec une
table ? Ce fut la dernière pensée claire qu’eut le roi.
    — Allons ! dit Gournay
faisant signe à Ogle.
    Ils s’approchèrent, chacun d’un côté
du lit, se jetant sur Édouard, le tournèrent pour le mettre à plat-ventre.
    — Ah ! les gueux, les
gueux ! cria-t-il. Non, vous n’allez pas me tuer.
    Il s’agitait, se débattait, et
Maltravers était venu leur prêter la main, et ils n’étaient pas trop de
trois ; et le géant Towurlee ne bougeait pas.
    — Towurlee, la table !
cria Gournay.
    Towurlee se rappela ce qu’on lui
avait commandé. Il avança et laissa tomber l’énorme planche en travers des
épaules du roi. Gournay releva la robe du prisonnier, abaissa les braies dont
l’étoffe usée se déchira. C’était grotesque, misérable, un fondement ainsi
exposé ; mais maintenant les assassins n’avaient plus le cœur à rire.
    Le roi, à demi assommé par le coup
et suffoquant sous la table qui l’enfonçait dans le matelas, se débattait,
ruait. Que d’énergie il lui restait !
    — Towurlee, tiens-lui les
chevilles ! Mais non, pas ainsi, tiens-les écartées ! ordonna
Gournay.
    Le roi était parvenu à sortir sa
nuque dénudée de dessous la planche, et tournait le visage de côté, pour
prendre un peu d’air. Maltravers lui pesa des deux mains sur la tête. Gournay
se saisit du tisonnier et dit :
    — Ogle ! Enfonce la corne,
à présent.
    Le roi Édouard eut un sursaut d’une
force désespérée quand le fer rouge lui pénétra dans les entrailles ; le
hurlement qu’il poussa, traversant les murs, traversant le keep, passant
par-dessus les dalles du cimetière, alla réveiller les gens jusque dans les
maisons du bourg. Et ceux qui entendirent ce long, ce lugubre, cet effroyable
cri, eurent dans l’instant même la certitude qu’on venait d’assassiner le roi.
    Le lendemain matin les habitants de
Berkeley montèrent au château, pour s’informer. On leur répondit qu’en effet
l’ancien roi était trépassé dans la nuit, soudainement, en jetant un grand cri.
    — Venez donc le voir, mais oui,
approchez, disaient Maltravers et Gournay aux notables et au clergé. On fait
présentement sa toilette mortuaire. Qu’on entre ; tout le monde peut
entrer.
    Et les gens du bourg constatèrent
qu’il n’y avait aucune marque de coup, aucune plaie, aucune blessure sur ce
corps qu’on était en train de laver, et qu’on ne cherchait nullement à leur
dissimuler.
    Thomas Gournay et John Maltravers se
regardaient ; ç’avait été une brillante idée que cette corne de bœuf pour
enfoncer le tisonnier à travers. Vraiment, une mort sans traces ; dans ce
temps si inventif en matière d’assassinat, ils pouvaient s’enorgueillir d’avoir
découvert là une parfaite méthode.
    Ils étaient inquiets seulement du
départ inopiné de Thomas de Berkeley, avant l’aube, sous le prétexte, avait-il
fait dire par sa femme, d’une affaire qui l’appelait dans un château voisin. Et
puis Towurlee, le colosse au petit crâne, réfugié aux écuries, depuis plusieurs
heures pleurait, assis par terre.
    Gournay dans la journée partit à
cheval pour Nottingham où se trouvait la reine, afin d’annoncer à celle-ci le
trépas de son époux.
    Thomas de Berkeley resta éloigné une
bonne semaine et se montra en divers lieux d’alentour, essayant d’accréditer
qu’il n’avait pas été dans son château au moment de la mort. Il eut, à son
retour, la mauvaise surprise d’apprendre que le cadavre était toujours chez
lui. Aucun des monastères voisins ne s’en voulait charger. Berkeley dut garder
son prisonnier en bière, pendant tout un mois, durant lequel il continua de
percevoir ses cent shillings quotidiens.
    Tout le royaume, maintenant,
connaissait la mort de l’ancien souverain ; d’étranges récits, mais qui
n’étaient guère éloignés de la vérité, circulaient, et l’on chuchotait que cet
assassinat ne porterait bonheur ni à ceux qui l’avaient accompli, ni à ceux, si
haut qu’ils fussent, qui l’avaient ordonné.
    Enfin, un abbé vint prendre
livraison du corps, au nom de l’évêque de Gloucester qui acceptait de le
recevoir dans sa cathédrale. La dépouille du roi Édouard II fut mise sur
un chariot

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