La Louve de France
résoudre un difficile problème de rédaction. Les yeux près de la
table, il ne traça qu’une seule phrase d’une écriture bien formée, répandit
dessus de la poudre à sécher, et tendit la feuille à Mortimer en disant :
— J’accepte même de sceller cette
lettre de mon propre sceau, si vous-même ou Madame la reine considérez ne point
devoir y apposer les vôtres.
Vraiment, il paraissait content de
lui.
Mortimer s’approcha d’une chandelle.
La lettre était en latin. Il lut assez lentement :
— Eduardum occidere nolite
timere bonum est. Il réfléchit un moment, puis, revenant à l’évêque :
— Eduardum occidere, cela je
comprends bien ; nolite : ne faites pas… timere : craindre…
bonum est : il est bon…
Orleton souriait.
— Faut-il entendre :
« Ne tuez pas Édouard, il est bon de craindre… de faire cette
chose », poursuivit Mortimer, ou bien « Ne craignez pas de tuer
Édouard, c’est chose bonne » ? Où est la virgule ?
— Elle n’est pas, répondit
Orleton. La volonté de Dieu se manifestera par la compréhension de celui qui
recevra la lettre. Mais la lettre elle-même, à qui peut-on en faire
reproche ?
Mortimer restait perplexe.
— C’est que j’ignore, dit-il,
si Maltravers et Gournay entendent bien le latin.
— Le frère Guillaume, que vous
avez placé auprès d’eux, l’entend assez bien. Et puis le messager pourra
transmettre de bouche, mais de bouche seulement, que toute action découlant de
cet ordre devra demeurer sans traces.
— Et vraiment, demanda
Mortimer, vous êtes prêt à y apposer votre propre sceau ?
— Je le ferai, dit Orleton.
C’était vraiment un bon compagnon.
Mortimer le raccompagna jusqu’au bas de l’escalier, puis remonta à la chambre
de la reine.
— Gentil Mortimer, lui dit
Isabelle, ne me laissez point dormir seule cette nuit.
La nuit de septembre n’était pas si
froide qu’elle dût grelotter autant.
IX
LE FER ROUGE
Comparé aux forteresses démesurées de
Kenilworth ou de Corfe, Berkeley peut être regardé comme un petit château. Ses
pierres de teinte rose, ses dimensions humaines, ne le rendent en rien
effrayant… Il communique directement avec le cimetière qui entoure l’église et
où les dalles, en quelques années, se couvrent d’une petite mousse verte, fine
comme un tissu de soie [51] .
Thomas de Berkeley, assez brave
jeune homme que n’animait aucune férocité à l’égard de son semblable, ne
possédait pas de raisons toutefois de se montrer bienveillant à l’excès envers
l’ancien roi Édouard II qui l’avait tenu quatre ans en prison à
Wallingford, en compagnie de son père Maurice, mort pendant cette détention. En
revanche, tout l’incitait au dévouement envers son puissant beau-père, Roger
Mortimer, dont il avait épousé la fille aînée en 1320, qu’il avait suivi dans
la révolte de 1322, et auquel il devait sa délivrance, l’année précédente.
Thomas recevait la considérable somme de cent shillings par jour pour la garde
et l’hébergement du roi déchu. Ni sa femme Marguerite Mortimer, ni sa sœur Éva,
l’épouse de John Maltravers, n’étaient non plus de mauvaises personnes.
N’aurait-il eu affaire qu’à la
famille Berkeley, Édouard II eût trouvé le séjour acceptable. Par malheur,
il lui fallait subir les trois tourmenteurs, le Maltravers, le Gournay et leur
barbier Ogle. Ceux-ci ne laissaient pas de répit à l’ancien roi ; ils
avaient l’esprit fécond en cruauté, et ils se livraient à une sorte de
compétition, rivalisant d’invention et de raffinement dans le supplice.
Maltravers avait imaginé d’installer
Édouard, à l’intérieur du keep, dans un réduit circulaire de quelques pieds de
diamètre au centre duquel s’ouvrait un ancien puits maintenant asséché. Aucune
margelle n’entourait le puits. Il eût suffi d’un faux mouvement pour que le
prisonnier tombât dans cette oubliette. Aussi Édouard devait-il rester
constamment attentif ; cet homme de quarante-quatre ans, mais qui
maintenant en paraissait plus de soixante, demeurait là, gisant sur une brassée
de paille, le corps collé contre la muraille ou ne se déplaçait qu’en rampant,
et lorsqu’il s’assoupissait, il se réveillait aussitôt, tout en sueur,
craignant de s’être rapproché du vide.
À ce supplice de la peur, Gournay en
ajouta un autre, celui de l’odeur. Il faisait ramasser dans la campagne des
charognes de bêtes
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