La lumière des parfaits
haches d’armes dont le tranchant se serait émoussé sur le fer tandis que les assaillants, s’ils étaient parvenus à franchir cette première enceinte, se seraient exposés aux tirs plongeants des archers.
Un portillon, ménagé dans le ventail, s’ouvrit pour laisser passer un officier qui nous salua du chef et nous pria, dans un français teinté d’un léger accent guttural, de bien vouloir lui présenter notre sauf-conduit.
Des valets d’écurie se présentèrent à nous. Nous leur remîmes les brides de nos montures. Un sergent d’armes, les yeux plissés, le regard sombre et inquisiteur, nous examinait de la tête aux pieds. Un étrange sentiment, une sensation de malaise me saisit tout à trac. Ces murs ! Ce regard !
Foulques, Raymond et moi-même fûmes invités à suivre l’officier de garde, nos serviteurs et nos écuyers priés de patienter.
Après avoir longé les hauts murs de cette forteresse bâtie sur le roc, nous fûmes conduits devant ce que l’on nous dit être la porte d’honneur, défendue par une tour carrée. Une bretèche à deux angles, éclairée par deux archères cruciformes, en contrôlait l’accès.
Une fois franchie, nous débouchâmes dans une basse-cour où nous fûmes accueillis par le capitaine d’armes de la place. Il tenait en main notre lettre de pèlerinage. Il s’enquit avec grande déférence et dans un français parfait de nos noms et qualités.
Son visage s’éclaira aussitôt : notre visite avait été annoncée, plusieurs mois plus tôt par le chevalier teutonique Wilhelm von Forstner. Le capitaine d’armes, qui était lui-même de noblesse lorraine, nous dit se réjouir de notre arrivée. Un grand banquet était prévu prochainement en notre honneur. Y seraient conviés également les sires de Ribeaupierre et de Girsberg, ainsi que nos écuyers.
Foulques de Montfort ne put s’empêcher de déclarer que n’étions pas venus pour festoyer, mais pour recevoir l’hospitalité offerte aux simples pèlerins que nous étions, avant d’ostroier aux côtés des chevaliers teutoniques, aux confins de la Prusse orientale.
« Messire de Montfort, vous ne pouvez refuser si noble invitation du comte d’Œttingen qui entend fêter votre apertise de ce jour ! Ce serait pour lui grave offense, pire que déclaration de guerre ! Il a dépêché des chevaucheurs pour quérir ses hôtes, une troupe de ménestriers…
— Capitaine, j’ignorais la présence de messire d’Œttingen en ces lieux. Veuillez me faire la grâce de ne point lui faire part d’un refus trop hâtivement prononcé, dicté par mon ignorance. J’avais cru comprendre que cette forteresse était fief de messire de Werd ?
— Messire Jean est souffrant depuis plusieurs mois, et sans héritier. Il a confié la gestion de ses biens à son cousin, à titre jurable et rendable, et se réjouit tant de votre venue !
— Veuillez faire savoir au comte que j’aurai grand et noble plaisir à le saluer. Nous nous connaissons de longue date et sommes unis par les liens d’une amitié profonde.
— Làs, il ne pourra vous recevoir ce soir : il tient conseil pour parer à une nouvelle chevauchée que tenteraient les bandes de routiers qui sévissent en notre contrée.
— Messire Foulques, ne pus-je m’empêcher de lui souffler dans le creux de l’oreille, ne seriez-vous pas un peu cachottier ? »
Le taciturne chevalier posa sur moi un regard lourd de sous-entendus que démentait un franc sourire :
« Vous m’avez déjà soutiré trop de confidences, mon jeune ami. Mon jardin secret rétrécit comme peau de chagrin à trop vous fréquenter…
— Ach, es freut mich, je me réjouis que vous restiez parmi nous quelques jours, s’esclaffa le capitaine d’armes. Il y a tant de belles choses à découvrir en notre province d’Alsace ! Le couvent Sainte-Odile perché sur la montagne Sacrée, une citadelle naturelle à la pointe du mur rehaussé par les Romains au III e siècle, une enceinte cyclopéenne…
— Capitaine, capitaine, nous sommes en pèlerinage et non en villégiature… tenta de glisser Foulques pour couper court aux effusions bucoliques du capitaine, qui poursuivit :
— Sans parler de la chasse à courre à laquelle vous êtes tous conviés…
— Deux ou trois jours, messire capitaine, cela vous semble-t-il proposition recevable pour notre hôte ? Nous ne devons point tarder à reprendre notre route. Nous ne sommes rendus qu’à moins d’un
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