La malediction de la galigai
n'aurait jamais hésité, insista Gondi qui avait eu le temps de réfléchir.
Puisque Mondreville se révélait un scélérat, il serait simple de s'en débarrasser une fois tout terminé, ainsi que des truands recrutés par Beaufort, s'était-il dit. Le vol de la recette des tailles avait certes mûri dans l'esprit d'un coquin, mais il s'agissait quand même d'une bonne idée.
Le Prince lui jeta un regard glacial.
â Je suis d'une naissance à laquelle la conduite du Balafré ne convient pas, déclara-t-il du ton cinglant qu'il aimait à prendre lorsqu'il voulait clore un sujet.
Il sourit cependant, dévoilant ses dents mal plantées et sa mâchoire hideuse :
â Je ne crois pas qu'il soit de ma conscience et de mon honneur de prendre part à votre entreprise, messieurs. Sachez pourtant que je n'en parlerai pas, si vous souhaitez la conduire. De plus, je n'oublierai jamais l'obligation que j'ai envers vous. Si vous le voulez, je vous accommoderai avec la Cour, et si la Cour voulait vous attaquer, je prendrais votre protection.
â Monseigneur, nous ne sommes venus que pour avoir l'honneur et la satisfaction de vous servir, répliqua suavement Paul de Gondi. Nous serions au désespoir de vous avoir désobligé. Nous ignorions tout de ce Mondreville, et puisque cette entreprise vous déplaît, nous nous en retirons. Quant à nos relations avec le cardinal Mazarin, nous vous supplions de nous permettre de demeurer comme nous sommes avec lui. Notre inimitié ne nous empêchera pas de demeurer toujours vos respectueux serviteurs 3 .
Le Prince s'étant levé, Beaufort et Gondi se levèrent à leur tour. Condé agita une clochette et Bouteville apparut. La conférence était terminée.
*
Le duc et le coadjuteur partirent les premiers, le Prince ayant fait signe à Fronsac et à Tilly de rester un instant.
â Fronsac, fit Condé, grimaçant un sourire, je ne m'excuse jamais, vous le savez.
Louis hocha la tête.
â Pourtant je le fais avec vous. Vous êtes le premier, j'espère que vous serez le dernier. Je ne sais comment vous avez découvert cette ignoble affaire, mais sachez que j'aurais pu être tenté. Je vous dois donc beaucoup. Entrez à mon service, et je ferai votre fortune.
â Vous savez que c'est impossible, monseigneur, Pour mettre mon talent au service de ceux qui me le demandent, je dois garder ma liberté. Mais vous savez que je resterai toujours votre serviteur.
â Nous en reparlerons, fit sèchement Condé. Quand tout sera terminé, vous me raconterez. Quant à vous Tilly, je le répète, je vous abandonne Mondreville . Prenez seulement garde à Beaufort et à Gondi. Vous vous en êtes fait des ennemis implacables.
1 Dans ses Mémoires , le cardinal de Retz précise qu'il reçut aussi un petit billet par lequel le Prince lui ordonnait de le trouver le lendemain matin à quatre heures.
2 François-Henri de Montmorency, comte de Bouteville, compagnon de Condé. Il deviendra maréchal de Luxembourg.
3 Nous avons gardé ici à peu près les propres termes que le cardinal de Retz rapporte dans ses Mémoires quand il relate cette entrevue.
37
C e n'est qu'arrivé dans la grande antichambre de l'hôtel de Condé, bien éclairée par des lustres et des flambeaux, que Beaufort s'adressa à Gondi.
â Puisque ce pleutre de Condé ne veut pas en être, notre part n'en sera que plus forte ! fanfaronna-t-il.
â Monseigneur, vous ne pensez tout de même pas poursuivre ?
â Pourquoi pas ? Que Mondreville soit un brigand, je veux bien l'admettre, mais pour l'instant c'est un brigand utile. Une fois l'or dans notre poche, il disparaîtra comme les truands que je viens d'engager.
â Vous avez déjà engagé des truands ? s'inquiéta le coadjuteur.
â Le roi de la cour des Miracles et ses compères se trouvent en effet chez Mondreville. Ils préparent l'affaire !
Gondi s'abîma dans le silence. Beaufort se croyait habile mais il n'avait aucun esprit. Persuadé d'être brave quand il n'était que bravache, il était capable des plus grandes sottises, songeait le coadjuteur.
â Je suis désolé, monseigneur, dit-il enfin, mais je me retire. Les grandes affaires sont parfois sujettes à des
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