La malediction de la galigai
trouvait M. de Bouteville 2 . Celui-ci partit réveiller le Prince qui les reçut dans sa chambre.
Encore en chemise de nuit, Condé congédia ses domestiques et s'installa dans un grand fauteuil, offrant un siège plus petit à Gondi et à Beaufort. Avant que Bouteville ne sorte, il lui glissa un mot à l'oreille.
â Monsieur de Beaufort, j'attends avec hâte d'entendre votre proposition, débuta-t-il.
â Avant de commencer, je dois vous préciser, Votre Altesse, que l'idée n'est pas de moi mais d'un prévôt habitant non loin d'Anet. Cet homme a découvert qu'en 1617 le maréchal d'Ancre a procédé au vol de la recette des tailles de Normandie sur la Seineâ¦
â Voler ? Le maréchal d'Ancre ? répéta Condé d'un ton ironique qui déplut au coadjuteur.
â Oui, monseigneur. Pourquoi ce vol ? Je l'ignore, et nous l'ignorerons toujours, car Concini a été assassiné par le roi quelques jours plus tard. Mais il n'en reste pas moins vrai que le maréchal d'Ancre s'était approprié un million de livres fort facilement, avec seulement quatre ou cinq compères à son service.
Comme le Prince n'ajoutait rien, Beaufort poursuivit.
â Ce prévôt a un ami, marchand de blé de son état qui, comme tous les boutiquiers, n'aime guère le Mazarin ! Cet homme, plutôt fin quand il s'agit de clicaille, a songé qu'en cette période de grande disette d'impôt, empêcher les tailles d'arriver à Paris priverait le Sicilien de tout pouvoir. Ruiné et sans argent, il n'aurait plus aucun moyen ni de se faire obéir ni d'acheter des serviteurs. Il serait alors facile de le chasser.
â En effet, fit Condé, cette fois d'un ton glacial qui inquiéta littéralement Paul de Gondi. Si je comprends bien, vous envisageriez de recommencer l'entreprise du maréchal d'Ancre ?
â C'est cela, monseigneur, laissa tomber Beaufort.
â Ce serait du brigandage.
â Un acte de guerre, plutôt. Votre grand-père et votre oncle Henri de Navarre ont souvent agi ainsi contre le roi de France.
â Qu'en dites-vous, monsieur le coadjuteur ? interrogea le Prince après un instant de réflexion.
â La finance est un moyen d'ébranler le pouvoir. Depuis trois jours, par la faillite des traitants de la gabelle, la banqueroute a été décrétée sur les rentes de l'Hôtel de Ville. Le peuple gronde à nouveau contre le Mazarin. Le priver des recettes de la taille constituerait un nouveau coup de boutoir et l'empêcherait de nous nuire, mais l'entreprise serait rude, monseigneur.
â Comment cela ?
â Il est prévu un transport des tailles sur la Seine, a-t-on appris. Mais il sera accompagné d'une forte escorte, et nous ignorons le jour de son départ de Rouen.
â Vous ignorez aussi la somme transportée.
â Cela non, monseigneur, il y aura deux millions de livres.
â Deux millions ! Mazette !
â Seul monsieur de Longueville pourrait connaître les dates et la force de l'escorte, poursuivit Beaufort.
â Que sait-il de votre dessein ?
â Rien, monseigneur.
â Pourquoi avez-vous besoin de moi, alors ? Désirez-vous que je vous donne un régiment pour attaquer ce convoi ?
â Non, monseigneur, nous souhaitons seulement votre accord, et votre aide pour convaincre monsieur de Longueville. Nous avons jugé plus prudent que la prise du convoi soit réalisée par des voleurs, exactement comme avait agi Concini. Ainsi, en cas d'échec, aucun d'entre nous n'apparaîtra.
â Et vous avez vos voleurs ?
â Je m'en suis occupé, monseigneur. Le prévôt qui a amené l'affaire les commandera.
â Drôle de prévôt ! ironisa Condé. Messieurs, je vais faire venir deux de mes amis pour connaître leur opinion.
Le Prince se leva et se rendit jusqu'Ã une porte qu'il ouvrit. Il fit entrer Fronsac et Tilly.
*
Beaufort les regarda, interloqué, tandis que Gondi, myope, plissait des yeux pour essayer de reconnaître les nouveaux venus.
Quand à Louis et Gaston, ils ne s'attendaient pas à découvrir Beaufort et Gondi. Arrivé depuis près d'une heure, le second avait été conduit dans l'antichambre où il avait découvert son ami. Tous deux ignoraient les
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