La malediction de la galigai
remplissant le pot de Ganducci.
â Pas vraiment, sourit l'agent de Mazarin. En vérité, je vous cherche depuis quelques jours, mais j'ai appris que vous étiez retourné chez vous à Mercy. Son Ãminence est contrariée par la querelle entre vous et le Prince.
â Son Ãminence sait beaucoup de choses.
â à sa place, il faut tout savoir sur tout le monde, vous ne l'ignorez pas. Mais puisque vous êtes de retour à Paris, cela signifie-t-il que Monsieur le Prince n'est plus fâché contre vous ?
Louis mâchonna un instant le pain qu'il avait porté à sa bouche. Condé devait déjà avoir annoncé dans quelle estime il le tenait désormais. Il n'avait donc rien à cacher.
â Nous arrivons de chez lui. Notre brouille a pris fin. Son Altesse a compris que j'ai toujours agi avec loyauté envers elle.
â Je vous croyais au service de Son Ãminence, remarqua le gantier assez froidement.
â Je sais ce que je dois à Mgr Mazarin et il me trouvera toujours à ses ordres quand il me le demandera.
â Je le lui dirai, monsieur Fronsac. D'ailleurs vous allez pouvoir lui prouver rapidement votre fidélitéâ¦
Tomaso Ganducci piqua une saucisse dans le plat.
â J'ai une histoire à vous raconter, vous plairait-il de l'entendre ?
Louis opina tandis que Gaston gardait le silence, observant l'espion en s'interrogeant sur les raisons de sa présence.
â Il y a quelques mois, Gabriel Naudet a acheté à un libraire un lot de mémoires jamais imprimés. Son Ãminence est très friande de ce genre de documents pour sa bibliothèque. C'étaient des textes du temps du roi Henri ou de la régence de Marie de Médicis. Parmi ceux-ci, il y avait les récits d'un nommé Balthazar Nardi.
L'espion s'interrompit un instant pour regarder les visages de Gaston et de Louis, mais ceux-ci restèrent de marbre.
â Ce Nardi, né à Arezzo, avait fait ses études avec le maréchal d'Ancre. C'était à la fois son avocat, son diplomate et son agent secret. Parmi les affaires troubles qu'il relatait, se trouvait un vol de la recette des tailles de Normandie auquel il aurait participé. Mais je ne vais pas m'étendre, monsieur de Tilly, puisque vous en avez parlé à monsieur Séguier et que vous y avez fait mention dans le mémoire remis à Son Ãminence. Ce vol avait été préparé par le maréchal d'Ancre, alors gouverneur de Normandie, et par son épouse Léonora Galigaï. Cela nous a donné une idée.
â Nous ? s'enquit Fronsac.
â Moi et quelques personnes qui avons l'honneur d'avoir l'oreille de Son Ãminence.
Gaston hocha la tête.
â Vous le savez, Monsieur le Prince exigeait le gouvernement de Pont-de-l'Arche pour son beau-frère, monsieur de Longuevilleâ¦
â Exigeait ? Ne le veut-il plus ? s'étonna Louis.
â Son Ãminence a accordé Pont-de-l'Arche, voici trois jours, intervint Gaston.
â Monseigneur n'a pas eu le choix, expliqua Ganducci. Mais, il y a trois mois, il savait déjà qu'il lui serait difficile de résister à Son Altesse ; c'est pourquoi, l'un de nous a eu l'idée de⦠comment dire⦠compromettre monsieur de Longueville de telle sorte qu'il fût évident pour tout le monde, y compris pour le Prince, qu'il ne pouvait mériter Pont-de-l'Arche. Notre idée était de faire croire que se préparait un vol de la recette des tailles, et que, comme en 1617, l'instigateur en était le gouverneur de Normandie.
â Je ne comprends pas, fit Gaston.
â Imaginez qu'on arrête quelques truands préparant le détournement de la recette des impôts, que l'un d'eux se nomme Mondreville, comme celui qui avait volé les tailles en 1617, et qu'il soit un fidèle de Longueville. Qu'à ce moment, on fasse circuler une copie des mémoires de Nardi décrivant le rôle joué par le gouverneur de Normandie à l'époqueâ¦
â Longueville apparaîtrait comme un gouverneur corrompu, prêt à voler la Couronne pour s'enrichir, intervint Louis qui venait de saisir. C'était habile⦠Il n'y aurait eu aucune preuve, seulement des faits compromettants et une rumeur s'appuyant sur un précédentâ¦
â Vous avez l'esprit fin, monsieur Fronsac, sourit
Weitere Kostenlose Bücher