La Marquise de Pompadour
Chapitre 1 NOUS N’IRONS PLUS AU BOIS…
L umineuse et claire, cet après-midi d’octobre 1744 semblait une fête du ciel, avec ses vols d’oiseaux au long des haies, ses légers nuages blancs voguant dans l’immensité bleuâtre, son joli poudroiement de rayons d’or dans l’air pur où se balançaient des parfums et des frissons d’automne.
Sur le chemin de mousses et de feuilles qui allait de l’Ermitage à Versailles, – des humbles chaumières au majestueux colosse de pierre, – un cavalier s’en venait au petit pas, rênes flottantes au caprice de son alezan nerveux et souple.
Le chapeau crânement posé de côté sur le catogan, la fine rapière aux flancs de sa bête, svelte, élégant, tout jeune, vingt ans à peine, la figure empreinte d’une insouciante audace, la lèvre malicieuse et l’œil ardent, il souriait au soleil qui, par delà les frondaisons empourprées, descendait vers des horizons d’azur soyeux ; il souriait à la belle forêt vêtue de son automnale magnificence ; il souriait à la fille qui passait, accorte, au paysan qui fredonnait ; il se souriait à lui-même, à la vie, à ses rêves…
Devant lui, à un millier de pas, cheminait un piéton, son bâton d’épine à la main.
L’homme était poudreux, déchiré. Il marchait depuis le matin, venant on ne sait d’où – de très loin, sans doute – allant peut-être vers de redoutables destinées…
Près de l’étang, le piéton s’arrêta soudain… C’était, sous ses yeux, dans le rayonnement de la clairière, dans le prestigieux décor de ce coin de forêt, une vision de charme et de grâce :
Une jeune fille… une exquise merveille… mince, flexible, harmonieuse, teint de nacre et de rose, opulente chevelure nuageuse… suprêmement jolie dans sa robe à paniers de satin rose broché de fleurettes roses, le gros bouquet de roses fixé au corsage… un vivant pastel…
Elle riait aux éclats, penchée vers une dizaine de fillettes qui, tabliers en désordre, frimousses ébouriffées, l’entouraient, tapageuses, fringantes… et elle disait :
– Oh ! les insatiables gamines ! Déjà le démon de la danse les mène ! Comment, mesdemoiselles, vous voulez encore une ronde ?…
– Oui, oui… Jeanne, chère Jeanne… encore une ronde !…
– Soit donc ! En voici une que, pour vous, j’ai composée hier sur mon chemin.
Et tandis que les petites se prenaient par la main, elle, d’une voix mélodique et pénétrante, chanta ceci :
Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés
La belle que voilà, la lairons-nous danser ?
Alors, sur la tant jolie ritournelle dont cent cinquante années n’ont pas épuisé la vogue enfantine, la ronde, parmi des rires cristallins, se développa au bord de l’étang moiré…
Là-bas, sur le chemin feuilli, moussu, venait insoucieusement le jeune cavalier…
La lairons-nous danser ?
Entrez dans la danse
Voyez comme on danse…
La ronde, tout à coup, s’effaroucha. Les rires se glacèrent sur les lèvres mutines.
Le piéton poudreux sortait de son fourré, lui ; il s’approchait à pas lents et s’arrêtait, énigmatique silhouette silencieuse, près de celle que les gamines appelaient Jeanne… chère Jeanne…
Souriante, sans peur devant l’imprévue apparition, elle demanda doucement :
– Que voulez-vous ?…
L’homme s’éveilla de son extase admirative. Il balbutia :
– Pardon… excusez… où est-on ici ?
– Vous êtes sur le terroir de l’Ermitage ; voici la clairière, et voilà l’étang ; ici finit le parc royal de Versailles, et là commencent les bois…
– Le château… est-ce loin ?
– Par là… voyez-vous ? dit-elle, le bras étendu dans un geste de nymphe sylvestre.
Dans le lointain des sous-bois, le cor se fit entendre, une meute donna de la voix.
– Qu’elle est belle ! murmurait le piéton… Excusez encore… pouvez-vous me dire ?… Le roi… est-il au château ?
Elle demeura interdite, pâlissante. Et pensive, dans un souffle de rêve, elle répéta :
– Le roi !…
– Oui… Louis XV… savez-vous s’il est château ?
– Non… je ne sais pas… Pauvre homme, comme vous avez l’air malheureux… et si fatigué !
– Fatigué, oui… et malheureux… réellement malheureux…
– Oh ! attendez !… Il faut que je vous porte bonheur !
Légère comme une biche, elle s’élança. A vingt pas, sous un hêtre, deux femmes se reposaient ; l’une
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