La Marquise de Pompadour
aimez…
Brusquement, Jeanne s’arrêta, le sein oppressé, les yeux voilés de larmes brillantes.
– Embrassez qui vous aimez ! murmura-t-elle. Hélas ! où est-il celui que j’aime ? Où est le Prince charmant qu’attend mon âme prisonnière !…
– La chasse ! Voici la chasse ! cria à ce moment la matrone au teint couperosé… Jeanne, regarde… voici le cerf à l’eau… Regarde donc, mon enfant !…
Et s’adressant à la femme frêle et blonde qui l’accompagnait, à voix basse et rapide :
– Retirons-nous un peu, chère madame du Hausset. Pour ce qui va peut-être se passer ici, nous serions de trop…
– Que va-t-il donc se passer, chère madame Poisson ?…
« Madame Poisson » jeta un regard trouble sur sa compagne. Et elle murmura :
– Rien… non, rien… Ne nous montrons pas… attendons… espérons !… Voici la chasse du roi !
Jeanne avait fixé ses yeux sur l’étang.
La clairière s’emplissait du bruit des cors sonnant le
bat l’eau,
du hennissement des chevaux, des appels de piqueurs, des voix de la meute qui, tout entière, s’était jetée à l’étang, derrière l’animal de chasse.
Et le dix cors, noblement, la tête haute, fendait les eaux…
La foule des chasseurs, maintenant, cernait l’étang ; grands seigneurs sanglés, ceinturonnés, coquettes amazones en tricorne, piqueurs en habit bleu galonné d’argent sur or, grand gilet écarlate, bottes à chaudron… et les « taïaut » retentissaient, et tout ce monde brillant, pimpant, poudré, doré, coquetait, piaffait, caracolait !
Toute pâlie, Jeanne regardait de ses yeux agrandis par l’angoisse…
Oh ! la pauvre bête ! la pauvre bête !…
Le noble dix cors venait droit sur elle, nageant avec une indéfinissable dignité, franchissait la ceinture de roseaux, sortait enfin de l’eau, faisait quelques pas, et s’arrêtait près de Jeanne, exténué par quatre heures de course éperdue, rendu, vaincu, la tête tournée vers les quatre-vingts chiens de la meute qui s’assirent, dans le silence de la victoire, tenant la bête sous la menace de leurs regards… L’instant fut tragique.
Une poignante tristesse voila les yeux du cerf… Et de ces yeux, deux grosses larmes coulèrent lentement…
– Oh ! la pauvre bête ! la pauvre bête ! balbutiait Jeanne frissonnante de pitié.
Les chasseurs, les cors, les chiens, tout se taisait… C’était la minute solennelle, odieuse, impitoyable qui précède la mort du cerf.
– Dampierre, dit une voix, l’hallali !… Du Barry, vous servirez la bête…
Jeanne étendit les mains vers celui qui venait de parler… un grand seigneur… sans doute le maître de la chasse…
Servir la bête !… c’est-à-dire la tuer au couteau !… Oh ! non !… non ! Elle ne pourrait voir cette chose affreuse…
– Ah ! monsieur, grâce pour lui… ne le tuez pas, monsieur… s’écria-t-elle, toute palpitante d’émoi.
Et comme elle levait les yeux vers le grand seigneur, elle se recula soudain, très pâle, porta la main à son cœur, et, défaillante, murmura :
– Le roi !… le roi !…
En un clin d’œil, Louis XV sauta à bas de son cheval, saisit dans ses bras la jeune fille, en s’écriant :
– Par le ciel ! cette jolie enfant s’évanouit.
Jeanne, à demi pâmée, sa tête charmante retombée en arrière, entrouvrit les yeux… Elle se vit dans les bras de Louis XV, et frissonnante, éperdue, elle s’évanouit, en murmurant tout bas, au fond d’elle-même :
– Dansez… sautez… embrassez qui vous… aimez !… Il est venu… celui que j’aime… le prince Charmant… de mon âme prisonnière… mon roi !…
Ce fut un instant plus fugitif que la seconde qui meurt à peine éclose.
Mais cette seconde fut un frémissement d’admiration chez ce connaisseur, cet adorateur de beauté, ce roi des élégances raffinées qu’était encore Louis XV.
Une étrange émotion voila le clair reflet de ses yeux gris bleu pâle.
Et déjà l’exquise créature qu’il tenait dans ses bras s’éveillait comme d’un songe, se dégageait, confuse, troublée jusqu’au fond de sa pensée, balbutiait le même mot :
– Le roi… le roi !…
– Pour vous, le premier gentilhomme du royaume ! dit vivement Louis XV… ce qui signifie incapable de refuser une prière qui s’envolerait de lèvres aussi jolies…
Jeanne rougit… Son regard plana sur le cercle des cavaliers rangés autour d’elle et
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