Le Cercle du Phénix
Chapitre I
Accoudé
au bastingage humide, le visage fouetté par un vent frais revigorant, Nicholas
Ferguson regardait s’éloigner avec satisfaction les côtes françaises baignées
du tiède soleil d’automne. La goélette sur laquelle il avait embarqué à l’aube
filait maintenant à belle allure sur les flots houleux, ses voiles gonflées par
le puissant souffle marin. Si le reste du voyage se déroulait sans nouveaux
incidents, il serait à Londres l’après-midi même.
Portant
la main à la poche de son manteau, il caressa pensivement le paquet qui y était
logé, paquet qui avait coûté la vie à son père. Conformément à ses
instructions, Nicholas s’était empressé de détruire la lettre qui
l’accompagnait. Le secret devait rester total, l’enjeu était trop important.
Revenir
de Paris sans se faire repérer n’avait pas été une mince affaire. Contraint de
ruser en permanence pour semer ses poursuivants, il les avait perdus à
Beauvais, puis retrouvés à Amiens alors qu’il passait devant la cathédrale.
Là-bas, Nicholas avait de nouveau réussi à les distancer. Il le savait, face à
lui se dressait un adversaire tentaculaire et impitoyable. Un rictus de colère
crispa ses traits à cette pensée. Non, il ne devait à aucun prix se laisser
aller à la fureur. Il fallait garder son sang-froid et conserver les idées
claires pour avoir une chance de sortir vivant du piège dans lequel il s’était
enferré en répondant à l’appel de son propre père.
À
plusieurs reprises, Nicholas inspira profondément l’air du large, laissant
l’odeur âcre du sel lui emplir les narines. Peu à peu, il recouvra son calme et
put envisager avec une relative sérénité la suite des événements.
Aussitôt
arrivé à Londres, il lui faudrait faire un bref détour par la maison de Prince
Street, en espérant que ses ennemis ne l’y attendent pas, puis rendre visite le
plus rapidement possible à cette Miss Jamiston que son père avait également
impliquée dans cette dangereuse affaire. Ce dernier avait toujours été un homme
singulier. Confier une aussi lourde responsabilité à une femme ! Quelle
folie, quelle imprudence ! Nicholas se demanda quel genre de personne Miss
Jamiston pouvait être. Une forte personnalité, sans aucun doute. Peut-être même
était-elle séduisante ? Il en doutait toutefois : son père n’avait
jamais eu que mépris pour les belles femmes, les jugeant futiles et sottes,
opinion que Nicholas était loin de partager. Question d’âge sans doute…
Allons, il était inutile
de perdre son temps en suppositions stériles. Dans quelques heures, sa
curiosité serait assouvie. Mieux valait se reposer en attendant la lutte à
venir. Nicholas serra son ulster gris de la poussière du voyage contre son
torse et s’installa le plus confortablement possible dans un coin du bateau, au
milieu de filets de pêche usés et de rouleaux de cordage mangés par le sel.
Au-dessus de lui, des mouettes tournoyaient en poussant des cris perçants.
Bientôt,
l’Angleterre dévoilerait ses côtes sombres et brumeuses.
Chapitre II
Aiguillonné
par la peur, l’enfant fuyait à toutes jambes à travers les bois hostiles.
La
lune, tout à l’heure pleine et brillante, s’était cachée derrière des nuages,
plongeant les environs dans une obscurité compacte qui ralentissait sa course.
Tous ses sens étaient aux aguets pour éviter de buter sur un obstacle.
« Il »
se rapprochait.
Le bruit de sa folle
cavalcade résonnait dans le silence oppressant des bois et se répercutait
douloureusement dans tout son corps. Des branches fouettaient son visage, le
sang palpitait à ses oreilles, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine
comme s’il voulait la faire exploser, ses vêtements collaient à ses membres
humides de sueur.
Son poursuivant, souple
et rapide comme un félin, le traquait depuis déjà d’interminables minutes et ne
semblait aucunement disposé à laisser filer sa proie. Il pouvait sentir sa
présence derrière lui, tel un fauve fantasmagorique lancé à ses trousses.
Le garçon tenta
d’accélérer encore son allure, mais la fatigue et la peur accumulées l’en
empêchèrent. Ses jambes commençaient à s’engourdir : on aurait dit
qu’elles étaient en train de se pétrifier. Sa poitrine était en feu, ses pieds
en plomb.
La panique acheva de le
gagner et lui brouilla la vue.
De
seconde en seconde, l’ennemi se rapprochait, assuré dans ses
Weitere Kostenlose Bücher