La mémoire des flammes
la lueur de ce qu’il savait maintenant, le souvenir de cette rencontre se parait de nouvelles teintes. Qui pouvait être l’amant tourmenté de Catherine de Saltonges ? C’était Louis de Leaume qui s’était adressé à elle pour lui présenter ce nouvel admis. Fallait-il voir là une marque de connivence entre eux ? Ou n’avait-il pris la parole que parce que c’était son rôle de chef ? Ce n’était probablement pas Honoré de Nolant... Catherine de Saltonges avait semblé avoir en horreur l’idée de meurtre, elle aurait empêché son amant d’être le bourreau du groupe... Quoique...
Michel s’amusait de cet homme qui était visiblement un soldat – il portait une cicatrice à la joue gauche et ses manières assurées évoquaient celles de qui a déjà fait face avec succès à des situations éprouvantes –, mais avait du mal à supporter une heure d’inactivité. Lui, au contraire, appréciait beaucoup la situation. Être payé à ne rien faire ? Quoi de mieux ?
— Vous allez nous faire repérer, chef ! lança-t-il avec le plus ironique des sourires.
— Ne m’appelle pas « chef ».
— Le chef, c’est celui qui paie, chef. Si vous arrêtez pas de marcher dans tous les sens et de tourner en rond, on va attirer l’attention. Faut se fondre dans la foule, mais, vous, elle vous énerve, la foule.
— C’est parce qu’elle ne bouge pas assez vite. Tu as raison, je vais me calmer.
Une demi-heure plus tard, il était moins calme que jamais. Il allait retourner à l’imprimerie lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. Il se tapit contre l’angle du mur de la ruelle. Michel était consterné.
— Ben, heureusement que vot’dame pleure encore et qu’elle y voit rien, sinon, elle se demanderait qui c’est cet homme qui bondit contre un mur et salit son manteau juste au moment où elle sort de chez elle...
— Tu restes ici, Michel.
— Ah ça oui, j’préfère...
Margont se lança à la suite de Catherine de Saltonges. Il n’était pas susceptible, il pouvait reconnaître que ce garnement avait raison. Il affecta donc d’être un promeneur comme les autres, le col relevé sous prétexte qu’il faisait froid et un chapeau enfoncé sur la tête. Ainsi, il n’était pas reconnaissable au premier coup d’oeil. En outre, la foule le dissimulait bien.
Catherine de Saltonges cheminait de manière étrange dans le boulevard Saint-Germain. Tantôt elle marchait vite, tantôt elle s’arrêtait presque. L’indécision rendait décousus ses mouvements. Elle bifurqua pour se diriger vers la Seine, gagna le quai, s’approcha du fleuve, s’approcha encore...
« Elle va sauter ! » songea Margont. Que faire ? La sauver et réduire à néant tous ses efforts pour être admis chez les Épées du Roi ? Appeler à l’aide ? Catherine de Saltonges se pencha au-dessus de l’eau verte et glacée. Un fil invisible la tira doucement en arrière. Toutefois, elle continua à longer le quai. C’était comme si elle cheminait à côté de la Mort et que, paradoxalement, la présence de celle-ci la rassurait. Finalement, elle revint sur ses pas et emprunta le vieux pont Saint-Michel, qui ressemblait à un paon déplumé depuis qu’en 1809 on avait détruit la soixantaine de maisons qui en avaient orné les côtés pendant presque deux siècles.
Lorsqu’elle eut atteint l’île de la Cité, elle traversa le parvis de la cathédrale et pénétra dans Notre-Dame. Margont s’y engagea à son tour et se plaça sur le côté, pour cheminer discrètement, d’une colonne à l’autre. Alors que, sous la Révolution, des milliers d’églises et d’abbayes avaient été saccagées, pillées, transformées en écuries ou en carrières de pierres déjà prêtes à l’emploi, voire en... Bourse (la Bourse de Paris s’était installée dans l’église des Petits-Pères de 1796 à 1807), Notre-Dame avait été relativement respectée. Napoléon y avait même été sacré empereur des Français, le 2 décembre 1804.
Les pas de Catherine de Saltonges résonnaient avec une force étonnante, comme si le fardeau qu’elle portait l’alourdissait. Sa silhouette paraissait minuscule au milieu des vertigineuses verticales des colonnes. Dans la demi-pénombre, les vitraux multicolores luisaient, lumière de Dieu s’adressant aux hommes par des images.
Elle gagna une chapelle, s’agenouilla – ou plutôt se laissa tomber à genoux – et joignit les mains. Elle était immobile, si
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