La mémoire des flammes
apporté un grand nombre de progrès, d’améliorations, de bonds en avant... Mais on lui doit aussi une si longue liste de carnages et autres abominations... Pour eux, ces deux plans ne constituent pas un alcool assez fort pour étancher leur soif d’action.
Lefine essayait de rassembler ses idées. Voilà encore une demi-heure, il avait une vision claire de la situation. Maintenant, tout était en désordre ! Son esprit était une mare habituellement sereine dans laquelle Margont venait jeter ses hypothèses comme des pavés, soulevant boue et vase.
— Mais Charles de Varencourt nous informe et le bougre aime l’argent...
— Est-il seulement au courant ? Ou alors il a peur de parler, ou bien il attend que les prix montent... À moins qu’il ne soit dans les deux camps à la fois, afin d’être sûr de se retrouver du côté des gagnants.
— Je ne vois toujours pas ce que vous attendez de moi...
— Quand les choses ne bougent pas assez vite, parfois, il faut donner un bon coup de pied dans la fourmilière...
— Et le coup de pied, c’est moi...
— Ce groupe est semblable à un liquide qui mijote sur le feu des événements. Si l’on attend que la flamme soit plus vive pour qu’il se manifeste, il sera trop tard. Non, je propose de rajouter un ingrédient – toi ! ― pour créer une instabilité qui les obligera à abaisser leur garde.
— Ah, vous voulez jouer les alchimistes ! Seulement, à vouloir manipuler du soufre dans l’espoir de transformer le plomb en or, vous savez combien d’entre eux ont explosé avec leurs mélanges ?
— Tu n’es pas obligé d’accepter. Si tu es d’accord, tu n’as qu’à rester ici avec moi. Je sais que l’on me surveille régulièrement : tu finiras par être repéré. Sinon, tu peux t’en aller.
Lefine était plus partagé que jamais. Son instinct de survie lui criait de se précipiter vers la porte. D’un autre côté... Il était toujours persuadé que, dans les situations difficiles, Margont n’allait pas s’en sortir sans son aide. Et il ne voulait pas perdre son meilleur ami. Parce que, quand le monde napoléonien aurait définitivement volé en éclats, quand tout se serait effondré, quand la Révolution ne serait plus qu’un vieux souvenir, un fantôme pesant que plus personne n’oserait évoquer, que lui resterait-il à part Margont, Saber, Brémond et Pique-bois ? Ainsi, Margont songeait au macrocosme abstrait des idéaux universels, Lefine au microcosme concret de son nombril. Margont affectait de poursuivre ses déductions. Mais Lefine voyait bien qu’en réalité ses pensées se centraient sur cette question : son ami allait-il accepter ? Margont avait beau être complexe et se lancer dans des raisonnements élaborés, parfois, il était transparent. Et, dans ces moments-là, il ne s’en rendait même pas compte.
— C’est bon, c’est d’accord. Mais cela va coûter bien cher à Joseph ! On va me les payer, mes soldes de fin 1812, de 1813 et de début 1814, et avec des intérêts encore !
— Je te remercie, Fernand ! Mais alors, qui aura accès aux rapports de police ?
— Toujours moi. Je saurai faire en sorte que l’on ne puisse pas me suivre quand je me rends chez Natai.
— Très bien. Tu n’as qu’à me côtoyer de temps en temps, et les Épées du Roi auront tôt fait de te remarquer. Faisons le point. Justement, au fait, où en est-elle, la police ?
— J’ai lu une copie du rapport des inspecteurs de la Police générale chargés d’enquêter sur la mort de Berle. Leurs investigations concernant le colonel – interrogatoires des domestiques et des proches, vérification de sa fortune, lecture de ses courriers... ― n’ont rien donné. Pas de liaison, pas de dettes, pas d’ennemis en colère contre lui au point de le mutiler et de l’assassiner...
— Pourquoi emploies-tu les mots dans cet ordre alors que nous savons que les brûlures ont eu lieu après la mort ? Les inspecteurs de la Police générale n’ont pas découvert cela ?
— Non...
— Ont-ils fini par apprendre que l’on avait trouvé un emblème royaliste épinglé sur la victime ?
— Non plus...
— Joseph coupe cette enquête en deux, et nous seuls disposons des deux morceaux.
— Il mise uniquement sur nous, dit Lefine. Comme nous le pensions, il n’y a pas eu de vol d’objets de valeur. Seuls ont disparu les écrits du colonel concernant la défense de Paris. La Police générale a
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