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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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abeille butineuse. Je me grise de miel.
    Comme Fred baissait la tête, elle lui prit le menton dans le creux de ses deux mains, le força à la dévisager, le baisa sur la bouche avec gourmandise. Puis elle se dégagea en riant.
    — Tu pourrais être mon fils ! L’inceste ? Qu’est-ce que l’inceste ? Une invention des popes. D’ailleurs tu n’es pas mon fils. Seulement, je n’ai pas envie de coucher avec toi. En tout cas pas aujourd’hui. Laissons faire le temps. Tu es trop triste, mon petit camarade. Je n’aime coucher qu’avec des hommes gais. Reviens quand tu seras joyeux.
    Elle l’avait poussé dehors, gentiment, le menaçant de son index, comme une institutrice à un enfant dissipé.
    « Tu es trop triste »… C’est ce que lui disait aussi Galina. « Comment veux-tu que je reste avec toi, tu es trop triste. » Il était triste parce qu’elle le quittait et elle le quittait parce qu’il était trop triste. Comment s’en sortir ? S’en sortir… Sortir de Russie, sortir de cette impasse dans laquelle la Révolution capoterait, obsédait Alfred Barthélemy. Il se savait surveillé. S’il s’éloignait de Moscou par ses propres moyens, il n’irait pas loin. Beau prétexte pour le liquider, en délit de fuite.
    Des rumeurs filtraient sur la teneur du testament de Lénine, lu au Comité central et, depuis, mis au secret. Pourquoi ? Qui désavouait-il ? Qui mettait-il en cause ? Zinoviev paraissait troublé, amer. Pourtant, aux obsèques de Lénine, la troïka occupait les premières places et l’absence de Trotski fut beaucoup commentée. Peu après cette cérémonie, qui rappela désagréablement à Fred les fastes nécrologiques des institutions bourgeoises, Zinoviev lui confia une mission. L’ex-capitaine Sandoz travaillait toujours à Odessa pour le compte de Trotski. Cette trop longue délégation inquiétait Zinoviev. Il chargea Alfred Barthélemy de tirer au clair le rôle de Sandoz et de le contrer au besoin.
    Ainsi Fred revenait à son point de départ, près de celui dont il avait été le collaborateur. Il retrouva Sandoz, à Odessa, sans plaisir. Déplaisir d’ailleurs réciproque car Sandoz n’ignorait pas que Fred, agent de Zinoviev, lui rendait une visite dépourvue de courtoisie. Installé dans un bel hôtel particulier du front de mer qui dominait la rade, où patrouillaient des navires de guerre, Sandoz, dans ce décor, posait au procurateur.
    Odessa offrait la douceur d’une belle ville méridionale et la tranquillité d’une cité moyenne provinciale. Après ses quatre années de vie turbulente à Moscou, Fred eut l’impression, pour la première fois de son existence, de découvrir les vacances. Comme sa mission ne comportait aucune urgence, et que Zinoviev lui demandait surtout d’écouter aux portes, il occupait la majeure partie de ses journées à se promener, fasciné par les escaliers immenses où, lors de la mutinerie du cuirassé Potemkine, une population désarmée avait été fusillée sur les marches par les soldats du tsar. Que la Révolution apparaissait belle en 1905 !
    Alfred Barthélemy s’aperçut que l’une des principales fonctions de Sandoz consistait à faire passer à l’étranger, à la fois de la littérature de propagande destinée aux partis communistes et des hommes chargés de missions discrètes. Pour cela, il utilisait des contrebandiers bulgares et roumains. La porte de sortie se trouvait donc soudain à portée de main de Fred. Seule difficulté, puisqu’il ne pouvait emprunter la filière de Sandoz, circonvenir par ses propres moyens un de ces bateliers.
    Il découvrit que, si Sandoz payait fort cher ces messagers nocturnes, non pas en roubles dévalués, mais en pièces d’or marquées à l’effigie du tsar, certains contrebandiers profitaient de ce trafic pour introduire en Russie des brochures anticommunistes, voire des armes destinées à quels réseaux illicites. Une difficile enquête lui révéla qu’il existait encore en U.R.S.S. des groupes anarchisants qui ne désespéraient pas d’abattre la dictature bolchevique avec de simples brownings. Guetter une livraison, dans un de ces lieux secrets de la côte, entre Odessa et la frontière roumaine ; se précipiter sur le contrebandier, seul dans sa frêle embarcation pleine à ras bord, en exhibant sa carte de fonctionnaire du Kremlin ; faire comprendre que la Tchéka se tient prête à intervenir, cachée dans les roseaux ; marchander son silence en

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