La momie de la Butte-aux-cailles
l’a créé… Il a créé un parfum ! »
Le nez plongé dans son velouté au chocolat, Victor feignit la naïveté.
— Mme Ducrest voulait lancer un nouveau parfum sur le marché ? A-t-elle décroché la timbale ?
— Oui et non. C’est une rouée, une femme machiavélique. Elle mûrit un plan qu’elle ne peut réaliser seule. Elle met son neveu Michel dans le secret. Le trafic de momies périclite. En janvier, Michel réceptionne la dernière livraison au port Saint-Nicolas. Quelques mois auparavant, Félicité Ducrest a loué une chambre à Charenton sous le nom de Ginette Mercier et est parvenue à se faire engager comme contremaîtresse dans une fabrique de parfums. Les deux complices ont besoin d’un chimiste de haut niveau pour aboutir. La mission de Félicité Ducrest : recruter un « nez ». Le travail de Michel Forestier : aménager en laboratoire l’une des caves de la maison de la Butte-aux-Cailles. Au début de 1896, Félicité a déniché la perle rare. Il s’agit d’un chimiste de quarante-six ans, Benoît Magnus, célibataire, employé depuis plus de trente ans dans la parfumerie où elle travaille. Elle joue le grand jeu et sabote la préparation d’ Éternel féminin , une fragrance distribuée par des magasins de luxe. Horreur ! À l’ouverture des flacons, une odeur atroce s’en dégage, c’est une perte sèche pour l’usine. Benoît Magnus est jugé responsable. Pour éviter un scandale, il est mis d’office à la retraite. Félicité Ducrest, alias Ginette Mercier, lui fait alors une proposition alléchante. Moyennant une grosse rétribution, il mettra au point un parfum d’après une formule en sa possession. Il accepte, quitte son domicile au pied levé et s’installe dans la maison abandonnée. Seulement, Magnus est méfiant. Il copie la formule sur ses dernières feuilles de paye, les coud ensemble et les camoufle sous la semelle d’un de ses souliers. Ce qu’il ignore, c’est que les deux complices ont l’intention de se débarrasser de lui et de dissimuler son cadavre dans un moulage.
— Un moulage ? Comment cela ?
— Il suffit d’enduire d’huile d’olive le corps du modèle, puis vous gâchez votre plâtre en quantité généreuse, vous l’appliquez et vous attendez qu’il sèche. On démoule, on obtient une forme négative et on y coule en creux un autre plâtre qui, une fois durci, vous donnera un positif restitué. Le pauvre M. Magnus a bénéficié de ce traitement, mais n’a pas eu la bonne fortune d’être démoulé, et pour cause, il était occis. Par jeu, et pour dissimuler ses traits, Michel Forestier lui a fait une tête de dieu égyptien. Malheureusement, nos assassins ont commis une erreur : ils ont jugé superflu de dévêtir le cadavre et ils l’ont scellé sur un monticule, au milieu d’un bassin. La tornade a bousillé leur programme. La pseudo-statue s’est brisée, une carpe a avalé le minicarnet et…
— Je connais la suite, murmura Victor, qui, écœuré, repoussa son dessert. Comment Félicité Ducrest et Michel Forestier sont-ils remontés jusqu’à Alexandrine Piote et pourquoi ont-ils séquestré le capitaine Ballu ? Vous désirez un café ?
— Avec plaisir. J’apprécie ce restaurant, on y côtoie des personnalités intéressantes. L’homme aux favoris blancs, ne serait-ce pas le président des Assises, Ferdinand Lamastre ?
— Oui, ici c’est sa cantine. Un pousse-café ?
— Je prendrais volontiers un cognac. Ce que vous ignorez, monsieur Legris, c’est que Pierre Marcelin, surnommé l’archange, était présent lors du troc de la carpe à La soupente garnie et, sans penser à mal, il a divulgué cette bonne blague à Michel Forestier, son patron. Celui-ci, affolé, s’est empressé de téléphoner à sa complice qui a décidé d’agir. Elle s’est rendue chez Alexandrine Piote dès le lendemain. Personne ne devait savoir ce que contenait ce mini-carnet…
— Vous ne m’avez pas… Le corps de M. Magnus, par quel procédé l’avez-vous identifié ?
Augustin Valmy considéra ses mains avant de répondre entre ses dents :
— La médaille, monsieur Legris, la médaille d’honneur décernée à ce pauvre homme en compensation de ses services. Nous l’avons découverte en curant le bassin. Où puis-je me laver les mains ?
22 octobre
— Ben mince alors ! s’exclama Joseph. C’est digne d’un roman de Jules Lerminal !
Il déploya Le Passe-partout sur le comptoir
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