La mort du Roi Arthur
Lancelot, Hector, Girflet et tous leurs compagnons, se mirent en route au jour fixé et, de Gaunes, se dirigèrent vers la côte où des navires les attendaient, prêts à faire voile. Un vent favorable leur permit d’arriver rapidement en l’île de Bretagne. Ils y établirent leurs quartiers près de la grève et attendirent des nouvelles fraîches avant de prendre une quelconque décision quant à leur campagne contre les traîtres.
Le lendemain, la nouvelle que Lancelot avait débarqué avec de puissantes troupes effraya fort les deux fils de Mordret, car ils redoutaient le fils du roi Ban plus que personne. Après s’être concertés, ils préférèrent l’affronter en rase campagne et mourir au combat plutôt que de fuir en lui abandonnant le royaume.
Mettant aussitôt leur projet à exécution, ils rassemblèrent une armée à Caerwynt où, séduits à force de promesses et de dons, tous les barons du pays avaient consenti à leur rendre hommage et, à la tête de ces troupes, ils firent mouvement un mardi matin, peu avant qu’un messager ne leur annonçât la nouvelle : Lancelot marchait contre eux, et il n’était guère à plus de cinq lieues galloises. On devait donc s’attendre à se battre avant la troisième heure. Ils décidèrent d’attendre l’ennemi de pied ferme, et descendirent de leurs montures afin de ne pas les fatiguer inutilement.
Lancelot, de son côté, continuait à marcher sur Caerwynt. À son approche, les autres se précipitèrent en selle et passèrent immédiatement à l’attaque. Vu l’ampleur des forces en présence, la bataille dura jusqu’à la neuvième heure. C’est alors que Melehan, fils de Mordret, s’élança sur le roi Lionel de toute la vitesse de son cheval et, de sa courte et grosse lance au fer tranchant et bien aiguisé, le frappa si violemment que celle-ci, malgré haubert et bouclier, lui passa au travers du corps. Harcelé là-dessus sans trêve, le blessé finit par mordre la poussière et, dans sa chute, brisa la lance de telle façon que le fer lui en resta fiché dans la chair avec un grand morceau de hampe.
Le roi Bohort avait vu la scène. Il comprit que son frère était blessé à mort et en fut si affligé qu’il pensa mourir de douleur. Mais il se ressaisit, prit son élan et, l’épée au poing, se précipita sur Melehan qu’il frappa d’un si grand coup sur le heaume, avec son habileté coutumière, qu’il lui fendit le casque et puis la tête jusqu’aux dents. Puis, retirant son arme de la plaie, il fit basculer le cadavre de son adversaire en s’écriant : « Traître déloyal ! Ta mort ne me venge qu’en partie du tort que tu m’as causé, car tu m’as mis au cœur une douleur ineffaçable ! » Et, là-dessus, il se rua derechef au plus épais de la mêlée, abattant et tuant si bien tous ceux de ses ennemis qu’il croisait sur son passage qu’il suscita un début de déroute.
En voyant tomber le roi Lionel, les chevaliers de Gaunes s’étaient démontés pour le prendre dans leurs bras et le porter sous un orme à l’écart de la mêlée. Bien qu’il fût à l’évidence grièvement blessé, ils se gardèrent de le pleurer ouvertement et, loin de régaler l’ennemi de leur deuil, ils repartirent aussitôt se battre pour mieux venger leur seigneur.
Sur ce, Lancelot rencontra le cadet des fils de Mordret et le reconnut aisément, car il portait les mêmes armes que son père. Animé d’une haine mortelle, il se précipita sur lui, l’épée au poing. Sans chercher à l’éviter, l’autre brandit simplement son bouclier pour se protéger de l’assaut ; mais Lancelot, d’un coup formidable, le lui fendit jusqu’à la boucle et, en même temps, lui trancha le poing. Le blessé prétendit s’enfuir, mais Lancelot le talonnait, qui, sans même lui laisser loisir de se défendre, lui envoya voler tête et heaume à plus d’une demi-lance du buste.
Désormais sans chef en qui mettre leurs espoirs, les gens de Caerwynt cherchèrent leur salut dans une fuite au triple galop vers la forêt toute proche, mais leurs ennemis se lancèrent à leur poursuite et, animés d’une fureur noire, se mirent à les abattre comme des bêtes sauvages. Lancelot, de son côté, les massacrait à telle foison qu’on aurait pu suivre sa trace aux têtes qu’il faisait sauter. Il finit par se trouver face à face avec le comte de Gorre, dont la traîtrise et la déloyauté vis-à-vis de puissants seigneurs lui étaient trop
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