La mort du Roi Arthur
connues. Aussi, dès qu’il l’aperçut, il s’écria : « Ah ! traître, tu es mort ! Rien ne saurait désormais te sauver ! » Le comte de Gorre, en voyant que Lancelot le poursuivait, l’épée au poing, comprit qu’il était perdu s’il ne se dérobait aux coups de son adversaire. Il piqua des deux vers la forêt mais, s’il avait une bonne monture, celle de Lancelot n’était pas moins rapide, et un faux pas de la sienne envoya brusquement le comte voler à terre.
En le voyant étendu sur l’herbe, Lancelot sauta à bas de son cheval et assena au comte de Gorre un coup si bien ajusté que la lame lui fendit le crâne jusqu’au menton. Puis, sans s’attarder davantage, il se remit en selle et s’élança à bride abattue, sans s’apercevoir qu’au lieu de retourner vers ses gens, il s’éloignait d’eux. Et c’est ainsi qu’il s’enfonça dans les profondeurs de la forêt.
Il finit par se retrouver au milieu d’une grande lande alors que la nuit commençait à tomber. Apercevant un valet à pied qui venait du côté de Caerwynt, il lui demanda qui il était et à quel seigneur il appartenait. Le prenant pour un fuyard de Caerwynt, l’autre répondit : « Seigneur, je rentre du combat où nos gens ont connu une douloureuse journée, car, à ma connaissance, aucun n’en a réchappé. Du moins les autres sont-ils fort affligés de la mort du roi Lionel. – Comment ! s’exclama Lancelot, Lionel aurait été tué ? – Oui, seigneur, je l’ai vu mort. – Hélas ! dit Lancelot en soupirant, c’est un grand malheur ! » Et il se mit à verser d’abondantes larmes, si bien qu’il en eut le visage tout inondé. « Seigneur, dit le valet, voici qu’il se fait tard, et nous sommes loin de toute habitation. Où penses-tu coucher ce soir ? – Je l’ignore, répondit Lancelot, et peu m’importe ce que je ferai. » {87}
Il quitta le valet et, incapable de se diriger, tant l’obsédait son chagrin, reprit sa course à travers la forêt. Il arriva cependant près d’une forteresse et, se sentant fatigué, décida d’y demander l’hospitalité. Le portier lui dit : « Chevalier, mon seigneur te recevra bien volontiers, mais il faut que tu le saches, il est ici une coutume que tous ceux qui passent doivent respecter. – Laquelle ? demanda Lancelot. – Voici : cet endroit s’appelle le Château des Griffons, et tout chevalier qui espère s’y voir héberger doit d’abord retirer un épieu qui se trouve fiché dans un pilier. S’il échoue, il a la tête tranchée. S’il réussit, il doit épouser la fille de mon seigneur, qui est très belle et avenante. Mais je dois t’avertir : jusqu’à présent, aucun chevalier n’a pu retirer l’épieu du pilier. – Eh bien ! dit Lancelot, ouvre-moi la porte. Je suis disposé à tenter cette épreuve. »
Dès qu’il fut entré, le seigneur, qu’on avait averti de son arrivée, vint à sa rencontre et le salua courtoisement. « Chevalier, dit-il, on t’a prévenu de la coutume. Cependant, sache que, si tu ne veux pas tenter l’épreuve, tu peux encore t’en retourner. Seulement, les portes alors se refermeront sur tes talons, et nous ne te recevrons pas. Choisis. – Conduis-moi à ce pilier », répondit simplement Lancelot.
On l’emmena dans une grande salle toute illuminée par des torches. Au milieu se dressait un immense pilier de pierre grise dans lequel était si bien fiché un énorme épieu en bois de frêne que sa pointe dépassait de l’autre côté. Sans dire un mot, Lancelot s’approcha, saisit l’épieu et le tira vers lui de toutes ses forces. Mais l’épieu céda aussi facilement que s’il se fût agi d’un couteau planté dans une motte de beurre.
Dans leur stupeur, toutes les personnes présentes crièrent au prodige. « Chevalier, dit le seigneur, tu es le premier qui réussis cette épreuve. Si tu avais échoué, tu aurais eu la tête tranchée. Mais, maintenant, tu peux prétendre à la main de ma fille. Quel est ton nom et d’où viens-tu ? – On me nomme Lancelot du Lac, et je reviens de la bataille de Caerwynt. – Certes ! s’écria le seigneur, je ne m’attendais pas à voir dans ma demeure un chevalier aussi illustre que toi, Lancelot. Sois donc mon hôte. » Et il ordonna à ses serviteurs de désarmer Lancelot et de lui procurer des vêtements confortables.
On s’empressa donc autour de Lancelot. On lui enleva ses armes et on nettoya ses plaies, puis on le revêtit
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