La mort du Roi Arthur
Qui sera assez digne pour la recevoir de la Dame du Lac ?
C’est un véritable « Crépuscule des Dieux » que relate le récit de la mort du roi Arthur. Comme Loki dans le mythe germano-scandinave, Mordret déclenche le Ragnarök , et le feu ravage le monde. Après cette tourmente, la terre reverdira toutefois, et alors adviendra le règne du Fils, encore inconnu, mais qui attend son heure. La tendance est évidemment millénariste, et la silhouette du « Grand Monarque » se profile à l’horizon, avec toutes ses ambiguïtés. Mieux vaudrait en revenir au thème celtique des Tuatha Dé Danann, dieux de l’Irlande païenne en lutte perpétuelle contre les Fomoré , mystérieux monstres de l’ombre toujours aux aguets. Avant la bataille finale, tous les dieux entourent leur roi Nuada, qui est un bien étrange personnage puisque, ayant perdu un bras au cours d’une bataille antérieure, il ne peut plus régner. Or, grâce au dieu de la Médecine qui lui greffe un bras d’argent, le voici de nouveau à même de régner. Cependant, il ne pourra rien faire hors de la présence d’un étranger, Lug le Multiple artisan, celui sans qui toute victoire est impossible. Si l’on se souvient que Lancelot du Lac, l’étranger, l’Armoricain, est l’équivalent de Lug, et qu’aucune bataille ne peut être gagnée sans qu’il y participe, le parallélisme est saisissant. Arthur ne serait-il pas l’une des incarnations héroïsées du dieu Nuada au Bras d’Argent ?
Dans ce cas, il faudrait voir dans l’épée Excalibur le strict équivalent du bras d’argent de Nuada (et, par voie de conséquence, l’équivalent du traditionnel sceptre royal). Arthur n’est devenu roi qu’après avoir brandi son épée de souveraineté. Avant ce moment décisif, il n’était rien. Or, après la mortelle blessure que lui inflige son propre fils, il rend l’épée aux puissances surnaturelles qui la lui ont confiée le temps d’un règne. Il n’est plus rien, qu’un homme en proie à la souffrance. Le royaume, ce n’est pas lui, c’est son épée, l’objet divin ou magique dont le nom signifie « violente foudre ».
Telle est, en dernière analyse, la signification de l’épopée arthurienne. La royauté est un mythe et, comme tout mythe, elle n’acquiert de réalité que lorsqu’elle est incarnée par un être humain. Mais, pour que cet être humain puisse régner, il faut qu’il ait la puissance de brandir la « violente foudre » étonnant emblème de sa souveraineté. Et comment oublier que, sans le mystérieux Merlin qui rôde comme un fantôme dans toute cette histoire, Arthur n’aurait jamais pris conscience de la fonction à laquelle il était destiné ? La filiation biologique n’est rien en elle-même. Seule compte la lignée initiatique. Sans doute faut-il comprendre ainsi la leçon donnée par le sangréal , ce « sang royal » qui donne l’illumination à ceux qui ont le courage de reprendre l’épée Excalibur enfouie au plus profond des eaux dormantes de la mémoire.
Poul Fetan, 1996
Avertissement
Les chapitres qui suivent ne sont pas des traductions, ni même des adaptations des textes médiévaux, mais une réécriture , dans un style contemporain, d’épisodes relatifs à la grande épopée arthurienne, telle qu’elle apparaît dans les manuscrits du XI e au XV e siècle. Ces épisodes appartiennent aussi bien aux versions les plus connues qu’à des textes demeurés trop souvent dans l’ombre. Ils ont été choisis délibérément en fonction de leur intérêt dans le déroulement général du schéma épique qui se dessine à travers la plupart des récits dits de la Table Ronde, et par souci d’honnêteté, pour chacun des épisodes, référence précise sera faite aux œuvres dont ils sont inspirés, de façon que le lecteur puisse, s’il le désire, compléter son information sur les originaux. Une œuvre d’art est éternelle et un auteur n’en est que le dépositaire temporaire.
1
L’Étrange Histoire de Karadoc
Après le retour de ceux de la Table Ronde qui avaient entrepris la quête du Graal, de ceux du moins qui avaient pu échapper aux périls qu’ils avaient affrontés en de lointains pays, le roi Arthur décida de convoquer l’ensemble de ses barons et de ses vassaux pour la prochaine fête de la Pentecôte. Il envoya donc des messagers par tout le royaume afin que chacun fit ses préparatifs et, accompagné de son épouse ou de son amie,
Weitere Kostenlose Bücher