La mort du Roi Arthur
s’étendait sous les murailles de Kamaalot, seul et à l’écart, ruminant de sombres pensées, sans qu’aucun des chevaliers ni des serviteurs osât l’aborder. Le vent s’était levé, qui tordait les branches des grands arbres de la forêt toute proche. Le roi se lamentait en lui-même, et la mort de Lohot ne faisait qu’aggraver son angoisse du lendemain. Qu’adviendrait-il du royaume de Bretagne lorsque lui-même ne serait plus là pour regrouper chevaliers et vassaux ? Qui pourrait, à sa place, assumer la lourde tâche de conserver l’unité d’un immense pays dévoré par les ambitions, l’égoïsme d’un grand nombre de barons et de seigneurs de la guerre ? Certes, lui disparu, Gauvain serait prêt à porter la couronne et à brandir Excalibur pour protéger le royaume de tous ses ennemis. Mais Gauvain, son cher neveu, fils d’Anna et du roi Loth d’Orcanie, aurait-il assez de constance pour maintenir le fragile équilibre que lui-même avait réussi à établir, avec le secours de Merlin, entre les uns et les autres ? Certes, Gauvain était courageux, tenace et résolu, intrépide au combat, très habile en paroles et capable d’apaiser bien des querelles par son sens de la courtoisie. Mais cela suffirait-il pour assurer la continuité qu’Arthur voyait de plus en plus compromise ?… Faire fond plutôt sur Agravain, le second fils du roi Loth ? Arthur jugeait la chose impossible : Agravain était trop impétueux, trop coléreux, trop jaloux des prérogatives de son frère aîné. Le troisième fils, Gahériet ? Arthur le savait foncièrement bon, foncièrement honnête, mais il redoutait son plus grand défaut, le manque d’assurance : trop hésitant, trop prudent, il ne saurait faire face à des situations embarrassantes. Pour le quatrième, Gareth, son insignifiance même l’excluait. D’ailleurs, il n’entreprenait jamais rien sans l’avis de ses frères.
Quant au benjamin de ses neveux, Mordret, chaque fois qu’il le voyait, Arthur éprouvait un malaise indéfinissable, une espèce de tendresse mêlée de répulsion. Au demeurant, Mordret n’avait cure de dissiper la gêne : taciturne et renfrogné, il se tenait toujours en dehors du cercle de ses frères et, entreprenait-il une expédition en un lointain pays, il se gardait soigneusement de venir rendre compte de ses prouesses éventuelles. Il était si secret, dissimulé même, qu’Arthur le jugeait dangereux et, quoique manifestement susceptible d’autorité, voire inflexible, sa seule accession au trône, le cas échéant, ouvrirait le règne de l’injustice. N’était-il pas en effet aussi cruel qu’orgueilleux, insensible aux autres et concentré sur la flamme intérieure qui le dévorait ? Non, jamais Mordret ne serait un héritier capable de brandir Excalibur pour le bien et la paix du royaume.
Tels étaient, hélas ! les plus proches parents du roi Arthur, les prétendants les plus légitimes à sa succession. Après eux, il ne voyait guère que son cousin Cador de Cornouailles ou son petit-neveu Karadoc de Vannes, fils de sa nièce, Ysave de Carahès. Mais il lui suffit d’évoquer ce dernier pour s’assombrir davantage encore, tandis que les larmes inondaient ses joues. De ses proches, Karadoc était certainement le plus cher à son cœur : jeune, chaleureux, courtois et d’un courage à toute épreuve, d’une intelligence rare et d’une fidélité absolue, il était l’image même du souverain ouvert, volontaire, mais généreux, enfin tel que pouvait le souhaiter Arthur. Hélas ! quelle triste destinée était échue à Karadoc de Vannes ! Arthur ne put s’empêcher de revoir en pensée les étapes de sa douloureuse aventure.
Preux et loyal baron, le roi de Vannes avait très tôt prêté l’hommage au roi Arthur et, après l’avoir servi de son mieux, était un jour venu le trouver à Carduel et lui avait demandé un don. Arthur le lui avait accordé, ce don étant de le marier lui-même à une femme de son choix. Arthur n’avait pas hésité : comme il aimait tendrement le roi de Vannes, il lui avait octroyé sa nièce, la belle Ysave de Carahès et avait décidé que les noces se feraient quelques jours avant la cour plénière qu’il devait tenir lors de la fête de la Pentecôte.
C’était un mardi matin. La belle Ysave fut richement parée. Ses grâces exquises et son maintien ravissaient tous les regards. Ses vêtements lui seyaient à merveille. Arthur la prit par la main
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