La parfaite Lumiere
seul individu en a tué la moitié ?
— J’en ai bien peur. Nous
n’avons pas même pu nous approcher de lui.
— Murata et Ayabe passaient
pour être nos meilleurs hommes d’épée.
— Ils ont été les premiers à
y aller. Yosobei a réussi par la seule force de volonté à revenir ici, mais il
a commis l’erreur de boire de l’eau avant que nous n’ayons pu l’en empêcher.
Un lugubre silence descendit sur
le groupe. Comme ils étudiaient la science militaire, ils s’occupaient de
problèmes tels que logistique, stratégie, communications, espionnage et ainsi
de suite, non des techniques du combat d’homme à homme. La plupart d’entre eux
croyaient, comme on le leur avait enseigné, que l’escrime était l’affaire des
simples soldats, non des généraux. Pourtant, leur amour-propre de samouraïs les
empêchait d’admettre le corollaire logique, à savoir qu’ils se trouvaient impuissants
contre un spécialiste de l’épée tel que Sasaki Kojirō.
— Que faire ? demanda
une voix lugubre.
Durant quelques instants, les
hululements des hiboux répondirent seuls à cette question. Puis il vint une
idée à l’un des élèves :
— J’ai un cousin à la Maison
de Yagyū. Peut-être que par lui nous pourrions obtenir leur aide.
— Quelle sottise !
s’exclamèrent plusieurs autres.
— Nous ne pouvons demander
une aide extérieure. Ça ne ferait qu’augmenter la honte de notre maître. Ça
équivaudrait à reconnaître notre faiblesse.
— Alors, que faire ?
— La seule solution est
d’affronter encore Kojirō. Mais si nous l’affrontons de nouveau sur une
route obscure, ça ne fera que nuire davantage à la réputation de l’école. Si
nous mourons lors d’un combat franc, nous mourrons. Du moins ne nous
prendra-t-on point pour des lâches.
— Faut-il lui envoyer un défi
en règle ?
— Oui, et nous devrons nous y
tenir, quel que soit le nombre de nos défaites.
— Je crois que tu as raison,
mais ça ne sera pas du goût de Shinzō.
— Il n’a pas besoin de le
savoir, non plus que notre maître. Souvenez-vous-en, vous tous. Nous pouvons
emprunter au prêtre un pinceau et de l’encre.
Ils partirent sans bruit vers la
maison du prêtre. Ils n’avaient pas fait dix pas que l’homme qui marchait en
tête recula, le souffle coupé. Aussitôt, les autres se pétrifièrent, les yeux
rivés au dos du péristyle du sanctuaire vétusté. Là, devant l’ombre portée
d’un prunier chargé de fruits verts, se tenait Kojirō, un pied soutenu par
la balustrade ; il arborait un sourire mauvais. Tous les élèves pâlirent,
certains haletaient. Kojirō parla d’un ton venimeux :
— Si je comprends bien votre
discussion vous n’avez pas encore compris ; vous avez résolu de rédiger
une lettre de défi et de me la faire remettre. Eh bien, je vous épargne cette
peine. Me voici, prêt à combattre... Cette nuit, avant même d’avoir lavé le
sang de mes mains, j’en suis arrivé à la conclusion que les choses ne
s’arrêteraient pas là ; aussi vous ai-je suivis chez vous, lâches pleurnichards.
Il fit une pause afin de bien
souligner ces derniers mots puis reprit d’un ton ironique :
— ... Je me demandais comment
vous décidiez de l’heure et du lieu pour défier un ennemi. Consultez-vous un
horoscope afin de choisir le jour le plus propice ? Ou bien estimez-vous
plus sage de ne tirer l’épée que par une nuit obscure, quand votre adversaire,
ivre, rentre chez lui du quartier réservé ?
Nouvelle pause, comme dans
l’attente d’une réponse.
— ... Vous n’avez donc rien à
dire ? Il n’y a donc point parmi vous un seul homme au sang chaud ?
Si vous tenez tant à me combattre, venez. Un par un ou tous à la fois... ça
m’est égal ! Je ne fuirais pas vos pareils, même en armure et marchant au
son des tambours !
Aucun son ne venait des hommes
apeurés.
— ... Qu’est-ce qui vous
arrive ? Avez-vous résolu de ne pas me défier ?... N’y en a-t-il pas
un seul, parmi vous, qui ne soit une chiffe molle ?... Bon, le moment est
venu d’ouvrir vos oreilles d’âne et de m’écouter... Je suis Sasaki Kojirō.
J’ai appris l’art de l’épée indirectement du grand Toda Seigen après sa mort.
Je connais les secrets pour dégainer qu’a inventés Katayama Hisayasu, et j’ai
moi-même créé le style Ganryū. Je ne suis pas de ceux qui s’occupent de
théorie, qui lisent des livres et suivent des cours sur Sun-tzu ou
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