La parfaite Lumiere
Les
Six Secrets . Pour l’esprit, pour la volonté, nous n’avons rien en commun,
vous et moi... Je ne connais pas le détail de ce que vous étudiez chaque jour,
mais je suis en train de vous montrer ce que signifie la science du combat dans
la vie réelle. Il ne s’agit pas de fanfaronnades. Réfléchissez ! Quand un
homme est attaqué dans l’obscurité comme je l’ai été la nuit dernière, s’il a
la chance de l’emporter que fait-il ? S’il est un homme ordinaire il va se
mettre à l’abri le plus rapidement possible. Une fois là, il repense à
l’incident et se félicite d’avoir survécu. Ce n’est pas la vérité ? Ce
n’est pas ce que vous feriez ?... Mais ai-je fait cela ? Que
non ! Non seulement j’ai abattu la moitié de vos hommes, mais j’ai suivi
les fuyards jusque chez eux et j’ai attendu ici, en plein sous votre nez. Je
vous ai écoutés essayer faiblement de prendre une décision, et vous ai pris
tout à fait par surprise. Si je voulais, je pourrais vous attaquer maintenant
et vous mettre en pièces. Voilà ce que c’est que d’être un homme d’armes !
Voilà le secret de la science militaire !... Certains d’entre vous ont
déclaré que Sasaki Kojirō n’est qu’un homme d’épée, qu’il n’a pas à venir
pérorer dans une école militaire. Jusqu’où dois-je aller pour vous convaincre
de votre erreur ? Peut-être aujourd’hui vais-je aussi vous prouver que je
ne suis pas seulement le plus grand homme d’épée du pays mais encore un maître
de la tactique... Ha ! Ha ! Voilà qui est en train de devenir un
véritable petit cours, non ? Je crains bien que si je continue à vider ma
besace de tout son savoir, le pauvre Obata Kagenori ne se retrouve au chômage.
Ce serait plutôt ennuyeux n’est-ce pas ?... Oh ! que j’ai soif !
Koroku ! Jūrō ! Apportez-moi de l’eau !
— Tout de suite,
monsieur ! répondirent-ils en chœur d’à côté du sanctuaire où ils
observaient la scène avec une admiration extasiée.
Lui ayant apporté un grand bol
d’eau, Jūrō lui demanda, tout excité :
— Qu’est-ce que vous allez
faire, monsieur ?
— Demande-leur ! railla
Kojirō. Ta réponse est dans ces faces obtuses et chafouines.
— A-t-on jamais vu des hommes
à l’air aussi bête ? renchérit en riant Koroku.
— Quelle bande de
capons ! dit Jūrō. Allons-nous-en, monsieur. Ils ne sont pas à
votre hauteur.
Tandis que le trio franchissait
d’une démarche conquérante le portail du sanctuaire, Shinzō, caché parmi
les arbres, marmonnait entre ses dents serrées :
— Vous me paierez ça.
Les élèves étaient accablés.
Kojirō les avait dupés et vaincus ; puis, triomphant, il les laissait
effrayés, humiliés. Le silence fut rompu par un étudiant qui accourait en
demandant, d’un ton perplexe :
— Avons-nous commandé des
cercueils ?
Nul ne répondant, il reprit :
— ... Le fabricant de
cercueils vient d’arriver avec cinq cercueils. Il attend.
Enfin, l’un des membres du groupe
répondit avec abattement :
— On a envoyé chercher les
corps. Ils ne sont pas encore arrivés. Je n’en suis pas sûr, mais je crois
qu’il nous faudra un cercueil supplémentaire. Demande-lui de le fabriquer, et
mets ceux qu’il a apportés dans la grange.
Cette nuit-là, une veillée eut
lieu dans la salle de cours. Bien que tout fût fait sans bruit dans l’espoir
que Kagenori n’entendrait pas, il put deviner plus ou moins ce qui s’était passé.
Il s’abstint de poser des questions, et Shinzō ne fit aucun commentaire.
Depuis ce jour, la flétrissure de
la défaite hanta l’école. Seul Shinzō, qui avait poussé à la retenue et
que l’on avait accusé de lâcheté, maintenait vivant le désir de revanche. Ses
yeux brillaient d’une lueur qu’aucun des autres ne pouvait sonder.
Au début de l’automne, la maladie
de Kagenori empira. Visible de son chevet, un hibou perché sur une branche d’un
gros arbre Zelkova, le regard fixe, n’en bougeait pas et hululait à la lune
pendant la journée. Shinzō percevait maintenant dans ce hululement que la
fin de son maître approchait.
Alors arriva une lettre de Yogorō
disant qu’il était au courant à propos de Kojirō, et rentrait. Au cours
des quelques jours qui suivirent, Shinzō se demanda ce qui aurait lieu
d’abord, l’arrivée du fils ou la mort du père. Dans les deux cas, le jour qu’il
attendait, le jour qui le libérerait de ses obligations,
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