La parfaite Lumiere
dois le dire. » Musashi, de
nouveau seul, éclata de rire. Il se rappelait sa propre enfance et
Jōtarō. « Je me demande ce qu’il est devenu », songea-t-il.
Quand Musashi l’avait vu pour la dernière fois, Jōtarō avait quatorze
ans. Il en aurait bientôt seize. « Pauvre garçon ! Il m’a pris pour
maître, aimé comme son maître, servi comme son maître, et qu’ai-je fait pour
lui ? Rien. »
Absorbé dans ses souvenirs, il
oubliait sa fatigue. Il s’arrêta et s’immobilisa. La lune s’était levée,
brillante et pleine. C’est lors de nuits pareilles qu’Otsū aimait à jouer
de la flûte. Dans la voix des insectes, il entendit sonner un rire, celui
d’Otsū et celui de Jōtarō mêlés.
Tournant la tête, il distingua une
lumière. Il tourna dans la même direction le reste de son corps, et marcha
droit vers elle.
Du trèfle poussait tout autour de
la cabane isolée, presque aussi haut que le toit de guingois. Les murs étaient
couverts de calebassiers dont les fleurs, de loin, ressemblaient à d’énormes
gouttes de rosée. En s’approchant, il fut saisi par le violent ébrouement
irrité d’un cheval non sellé, attaché à côté de la bicoque.
— Qui est là ?
Dans la voix qui venait de la
cabane, Musashi reconnut celle du jeune garçon aux loches. En souriant, il
cria :
— Peut-on me loger pour la
nuit ? Je partirai demain matin de bonne heure.
L’enfant vint à la porte examiner
Musashi des pieds à la tête. Au bout d’un moment, il répondit :
— Bon. Entrez.
Musashi n’avait jamais vu maison
plus délabrée. Le clair de lune se déversait à travers les fentes des murs et
du toit. Après avoir enlevé son manteau, Musashi ne trouva pas même une patère
où l’accrocher. Le vent soufflait à travers le plancher malgré la natte de
roseaux qui le couvrait. L’enfant s’agenouilla devant son hôte,
protocolairement, et lui dit :
— ... Là-bas, à la rivière,
vous disiez que vous vouliez des loches, n’est-ce pas ? Vous aimez les
loches ?
Dans un tel décor, le formalisme
de l’enfant surprenait tant Musashi qu’il se contentait d’ouvrir de grands
yeux.
— ... Pourquoi me
regardez-vous comme ça ?
— Quel âge as-tu ?
— Douze ans.
Son visage impressionnait Musashi.
Il était aussi sale qu’une racine de lotus que l’on vient d’arracher du
sol ; quant à ses cheveux, ils présentaient l’aspect et l’odeur d’un nid
d’oiseau. Pourtant, son expression avait du caractère. Il était joufflu, et ses
yeux, qui brillaient comme des boules de collier à travers la crasse qui les
encerclait, étaient magnifiques.
— ... J’ai un peu de millet
et de riz, reprit avec hospitalité le garçon. Et maintenant que j’en ai donné à
mon père, vous pouvez avoir le restant des loches, si vous les voulez.
— Merci.
— Je suppose que vous
aimeriez aussi du thé.
— Oui, si ça ne t’ennuie pas.
— Attendez ici.
Il poussa une porte grinçante, et
passa dans la pièce voisine. Musashi l’entendit casser du bois, puis souffler
la flamme d’un hibachi de terre. Bientôt, la fumée qui remplissait la cabane
chassa dehors une nuée d’insectes.
Le garçon revint avec un plateau
qu’il posa par terre devant Musashi. Se mettant aussitôt à l’ouvrage, Musashi
dévora les loches grillées et salées, le millet et le riz, le beurre de fèves
noir et douceâtre, en un temps record.
— C’était bon, déclara-t-il
avec reconnaissance.
— Vraiment ?
L’enfant paraissait prendre
plaisir au bonheur d’autrui. Voilà un garçon bien élevé, se dit Musashi.
— Je voudrais exprimer mes
remerciements au maître de maison. Il est allé se coucher ?
— Non ; vous l’avez en
face de vous.
L’enfant désignait son propre nez.
— Tu es ici tout seul ?
— Oui.
— Ah ! je vois.
Il y eut un silence gêné.
— ... Et de quoi
vis-tu ? demanda Musashi.
— Je loue le cheval, et
l’accompagne comme palefrenier. Nous faisions aussi un peu de culture...
Oh ! il n’y a plus d’huile de lampe. De toute façon, vous devez avoir
sommeil, n’est-ce pas ?
Musashi en convint, et se coucha
sur une vieille paillasse, contre le mur. Le bourdonnement des insectes était
apaisant. Il s’endormit, mais, peut-être à cause de son épuisement physique, il
se trouvait en nage. Il rêva qu’il entendait tomber la pluie. Le bruit de son
rêve le réveilla en sursaut. Il n’y avait pas à s’y tromper. Ce
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