La parfaite Lumiere
célèbre
pour sa collection : trois mille sabres vieux de plusieurs siècles. Or,
après avoir passé tout un mois là-bas, je n’en ai trouvé que dix en bon état.
C’est dégoûtant !
Kōsuke reprit haleine et
continua :
— ... Le problème semble être
que plus le sabre est vieux et célèbre, plus son propriétaire a tendance à le
mettre en lieu sûr. Mais alors, nul ne peut l’atteindre pour s’en occuper, et
la lame se rouille de plus en plus... Ces propriétaires sont comme des parents
qui protègent si jalousement leurs enfants que ces derniers deviennent idiots
en grandissant. Dans le cas des enfants, il en naît sans arrêt : peu
importe si quelques-uns sont stupides. Mais les sabres...
S’arrêtant pour ravaler sa salive,
il leva ses minces épaules encore plus haut, et, avec une lueur dans les yeux,
déclara :
— ... Nous possédons déjà les
meilleurs sabres qui existeront jamais. Durant les guerres civiles, les
fabricants de sabres sont devenus négligents – que dis-je ?
absolument saboteurs ! Ils ont oublié leurs techniques, et dès lors, les
sabres se sont détériorés... La seule chose à faire, c’est de mieux prendre
soin de ceux des périodes antérieures. Les artisans d’aujourd’hui auront beau
tâcher d’imiter les sabres plus anciens, ils ne produiront jamais rien d’aussi
bon. Ça ne vous met pas en colère, de vous dire ça ?
Brusquement, il se leva et
déclara :
— ... Regardez-moi ça.
Il sortit une épée d’une
impressionnante longueur, qu’il déposa par terre pour permettre à son hôte de
l’examiner.
— ... C’est une arme
splendide, mais couverte de la pire espèce de rouille.
Le cœur de Musashi s’arrêta de
battre. L’épée était sans doute possible la « Perche à sécher » de
Sasaki Kojirō. Un flot de souvenirs le submergea. Maîtrisant ses émotions,
il dit calmement :
— Elle est bien longue, vous
ne trouvez pas ? Ce n’est pas le premier samouraï venu qui peut la manier.
— Je vous crois, fit Kōsuke.
Il n’en existe pas beaucoup de pareilles.
Il sortit la lame, en tourna le
dos vers Musashi, et la lui tendit par la poignée.
— ... Voyez, dit-il. Elle est
profondément rouillée... là, là et là. Il s’en est pourtant servi.
— Je vois.
— Il s’agit d’une pièce
artisanale rare, probablement forgée à la période Kamakura. Ça demandera
beaucoup de travail, mais je pourrai sans doute l’arranger. Sur ces épées
anciennes, la rouille ne forme qu’une pellicule assez mince. S’il s’agissait
d’une lame neuve, jamais je ne pourrais enlever les taches. Sur les sabres
neufs, les taches de rouille sont comme des tumeurs malignes ; elles
rongent le métal jusqu’au cœur.
Renversant la position de l’épée
de manière à diriger vers Kōsuke le dos de la lame, Musashi demanda :
— Dites-moi, le propriétaire
de cette épée vous l’a-t-il apportée lui-même ?
— Non. J’étais chez le
seigneur Hosokawa pour affaire, et l’un des membres de sa suite, Iwama Kakubei,
m’a demandé de passer chez lui au retour. Ce que j’ai fait ; alors, il m’a
donné cette épée pour travailler dessus. Il m’a dit qu’elle appartenait à un
hôte à lui.
— Les ferrures sont bonnes,
elles aussi, remarqua Musashi, les yeux toujours fixés sur l’arme.
— C’est une épée de guerre.
L’homme la portait sur son dos jusqu’à maintenant ; mais il veut la porter
au côté ; aussi m’a-t-on demandé de remettre en état le fourreau. Il doit
s’agir d’un colosse. A moins qu’il ne soit fort expérimenté.
Le saké commençait à faire son
effet sur Kōsuke, dont la langue devenait un peu pâteuse. Musashi en
conclut qu’il était temps de prendre congé, ce qu’il fit avec un minimum de cérémonie.
Il était beaucoup plus tard qu’il
ne pensait. Il n’y avait pas de lumières dans le voisinage.
Une fois à l’intérieur de
l’auberge, il tâtonna dans l’obscurité pour trouver l’escalier et grimper au
deuxième étage. On avait préparé deux couches, mais l’une et l’autre étaient
vides, l’absence d’Iori le mit mal à l’aise : il soupçonnait le jeune garçon
d’errer, perdu, dans les rues de cette grande ville qui ne lui était pas
familière. Il redescendit secouer le veilleur de nuit pour le réveiller.
— Il n’est pas encore
rentré ? demanda cet homme, qui paraissait plus surpris que Musashi. Je le
croyais avec vous.
Sachant bien
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