La parfaite Lumiere
comme une sangsue,
elle tourna les yeux vers le visage stupéfait d’Iori et lui dit :
— ... Maintenant, file. J’ai
affaire avec ce monsieur.
Perplexe, Iori les regardait tirer
chacun de son côté. Au bout de quelques instants, la femme parut l’emporter, et
ils disparurent sous le pont. Toujours intrigué, Iori se rendit au garde-fou,
et considéra la berge herbeuse.
La femme leva les yeux,
cria : « Espèce de crétin ! », et ramassa une pierre.
Avalant sa salive, Iori évita le
projectile et s’avança vers l’autre bout du pont. Durant toutes ses années dans
la plaine stérile de Hōtengahara, jamais il n’avait rien vu d’aussi
effrayant que la face blanche de cette femme irritée dans la nuit.
De l’autre côté du fleuve, il se
trouva devant un entrepôt. A côté s’élevait une clôture, puis un autre
entrepôt, puis une autre clôture et ainsi de suite tout le long de la rue.
« Ce doit être ça », se dit-il en arrivant au cinquième bâtiment. Sur
le mur de plâtre d’un blanc cru figuraient des armoiries représentant une
coiffure de femme à deux étages. Cela, Iori le savait d’après les paroles d’une
chanson populaire, c’étaient les armes de la famille Yagyū.
— Qui va là ? demanda
une voix de l’intérieur du portail.
Parlant aussi fort qu’il l’osait,
Iori annonça :
— Je suis le disciple de
Miyamoto Musashi. J’apporte une lettre.
La sentinelle prononça quelques
mots qu’Iori ne parvint pas à saisir. Dans le portail se découpait une petite
porte par laquelle on pouvait faire entrer et sortir les gens sans ouvrir le
grand portail lui-même. Au bout de quelques secondes, la porte s’entrebâilla
lentement, et l’homme demanda d’un ton soupçonneux :
— Qu’est-ce que tu fais ici à
pareille heure ?
Iori jeta la lettre à la figure du
garde.
— S’il vous plaît, remettez
ça de ma part. S’il y a une réponse, je la rapporterai.
— Hum, fit l’homme d’un air
songeur en prenant la lettre. C’est pour Kimura Sukekurō, non ?
— Oui, monsieur.
— Il n’est pas ici.
— Où donc est-il ?
— A la maison de Higakubo.
— Hein ? Tout le monde
me dit que la maison du seigneur Yagyū est à Kobikichō.
— On le dit, mais il n’y a
ici que des entrepôts : riz, bois de charpente et ainsi de suite.
— Le seigneur Yagyū
n’habite pas ici ?
— Exact.
— C’est loin, cet autre
endroit... Higakubo ?
— Très loin.
— Où, au juste ?
— Dans les collines, en
dehors de la ville, au village d’Azabu.
— Connais pas.
Iori poussa un soupir de déception
mais son sens des responsabilités l’empêcha de renoncer.
— ... Monsieur, voudriez-vous
me dessiner un plan ?
— Ne fais pas l’idiot. Même
si tu connaissais le chemin, ça te prendrait toute la nuit pour aller là-bas.
— Ça m’est égal.
— A Azabu, il y a des tas de
renards. Tu ne veux pas être ensorcelé par un renard, hein ?
— Non.
— Tu connais bien Sukekurō ?
— Mon maître le connaît.
— Je vais te dire ce que tu
vas faire. Etant donné qu’il est si tard, pourquoi ne pas dormir un peu, là,
dans le grenier, et aller là-bas demain matin ?
— Où suis-je ? s’exclama
Iori en se frottant les yeux.
Il se leva d’un bond et courut
au-dehors. Le soleil de l’après-midi l’étourdissait. Grimaçant dans la vive
lumière, il se rendit à la loge où le garde était en train de déjeuner.
— Alors, te voilà enfin
debout ?
— Oui, monsieur.
Pourriez-vous me dessiner ce plan tout de suite ?
— Tu es bien pressé, espèce
de dormeur ! Tiens, tu ferais mieux de manger d’abord un morceau. Il y en
a assez pour deux.
Tandis que le garçon mâchait et
avalait, le garde esquissait un plan sommaire, et lui expliquait comment se
rendre à Higakubo. Ils terminèrent simultanément, et Iori, tout enflammé par
l’importance de sa mission, partit au pas de course, sans jamais se dire que
Musashi risquait de s’inquiéter de ne pas le voir rentrer à l’auberge.
Il suivit rapidement les
grand-routes animées jusqu’aux abords du château d’Edo, où les demeures
imposantes des principaux daimyōs se dressaient sur le terrain bâti dans
l’entrelacs des fossés. Regardant autour de lui, il ralentit le pas. Les canaux
fourmillaient de bateaux de transport. Les remparts de pierre du château
lui-même étaient à demi couverts d’échafaudages de bois qui de loin
ressemblaient
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