La parfaite Lumiere
courant ?
— Je ne m’en suis pas servi
sur le champ de bataille. Il n’a rien d’exceptionnel. Le mieux que l’on puisse
en dire, c’est qu’il vaut mieux que rien.
— Hum...
Regardant Musashi droit dans les
yeux, Kōsuke lui demanda :
— ... Comment voulez-vous que
je vous le polisse ?
— Comment je veux que vous me
le polissiez ? Que voulez-vous dire ?
— Le voulez-vous aiguisé de
façon qu’il tranche bien ?
— Mon Dieu, c’est un sabre.
Plus il coupe net, et mieux ça vaut.
— Je suppose que vous avez
raison, concéda Kōsuke avec un soupir de défaite.
— Qu’est-ce qui ne va
pas ? N’est-ce pas le travail d’un artisan que d’affûter les sabres de
façon qu’ils tranchent comme il faut ?
En parlant, Musashi scrutait d’un
regard curieux le visage de Kōsuke. Celui qui se proclamait polisseur
d’âmes poussa l’arme vers Musashi et dit :
— Je ne peux rien pour vous.
Portez ce sabre à quelqu’un d’autre.
Bien étrange, se dit Musashi. Il
ne pouvait dissimuler une certaine contrariété, mais garda le silence. Kōsuke,
les lèvres étroitement serrées, n’essaya pas de s’expliquer. Pendant qu’ils
étaient assis là, à se considérer l’un l’autre en silence, un voisin passa la
tête à la porte.
— Kōsuke, avez-vous une
canne à pêche ? C’est marée haute, et les poissons pullulent. Si vous
voulez bien me prêter une canne, je partagerai ma pêche avec vous.
Il sautait aux yeux que Kōsuke
considérait cet homme comme un fardeau de plus qu’il n’eût pas dû avoir à
supporter.
— Empruntez-en une ailleurs,
grinça-t-il. Je suis contre le fait de tuer, et ne garde pas chez moi
d’instruments destinés au meurtre.
L’homme repartit sans demander son
reste, laissant Kōsuke plus renfrogné que jamais.
Un autre se fût découragé et eût
cédé la place, mais la curiosité de Musashi le retenait. Cet homme avait
quelque chose d’attirant – ni l’esprit ni l’intelligence, mais une
rude bonté naturelle pareille à celle d’une jarre à saké de Karatsu ou d’un bol
à thé de Nonkō. Tout comme la poterie présente souvent un défaut qui
rappelle combien elle est proche de la terre, Kōsuke avait, en un point à
demi chauve de sa tempe, une lésion quelconque qu’il avait enduite d’onguent.
Bien qu’il essayât de cacher sa fascination croissante, Musashi demanda :
— Qu’est-ce qui vous empêche
de polir mon sabre ? Est-il de si piètre qualité que vous ne puissiez
l’aiguiser comme il faut ?
— Bien sûr que non. Vous en
êtes le propriétaire. Vous savez aussi bien que moi qu’il s’agit d’un excellent
sabre de Bizen. Je sais également que vous voulez le faire affûter pour
pourfendre les gens.
— Y a-t-il du mal à
cela ?
— Voilà ce qu’ils disent
tous : qu’y a-t-il de mal à vouloir que je répare un sabre afin qu’il
coupe mieux ? Si le sabre coupe, ils sont heureux.
— Mais un homme qui apporte
un sabre à polir veut naturellement...
— Un instant, dit Kōsuke
en levant la main. Ça va me prendre du temps pour m’expliquer. D’abord, je
voudrais que vous regardiez de nouveau l’enseigne de ma boutique.
— Elle dit « Ames
polies », si je ne m’abuse. Y a-t-il une autre façon de lire les
caractères ?
— Non. Vous remarquerez qu’il
n’est pas question de polir des sabres. Mon travail consiste à polir les âmes
des samouraïs qui entrent ici, et non leurs armes. Les gens ne comprennent pas,
mais voilà ce que l’on m’a enseigné quand j’ai étudié le polissage des sabres.
— Je vois, dit Musashi, qui
ne voyait guère.
— Comme j’essaie de m’en
tenir aux enseignements de mon maître, je refuse de polir les sabres des
samouraïs qui prennent plaisir à tuer les gens.
— Mais dites-moi, quel était
votre maître ?
— Ça aussi, c’est inscrit sur
l’enseigne. J’ai fait mon apprentissage à la Maison de Hon’ami, sous la
direction de Hon’ami Kōetsu lui-même.
Kōsuke bombait le torse en
prononçant le nom de son maître.
— Voilà qui m’intéresse. Il
se trouve que j’ai fait la connaissance de votre maître et de son excellente
mère, Myōshū.
Musashi raconta ensuite comment il
les avait rencontrés dans le champ proche du Rendaiji, et comment plus tard il
avait passé quelques jours chez eux. Kōsuke, stupéfait, l’examina quelques
instants avec attention.
— Seriez-vous par hasard
l’homme qui a fait
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