La parfaite Lumiere
qu’il ne ferait que
regarder fixement le plafond jusqu’au retour d’Iori, Musashi ressortit dans la
nuit d’un noir de laque, et se tint les bras croisés sous l’auvent.
Le renard
— C’est bien Kobikichō ?
En dépit d’assurances réitérées
que oui, Iori conservait des doutes. Les seules lumières visibles, dans le
vaste paysage, venaient des huttes de fortune des charpentiers et des
maçons ; or, elles étaient rares et clairsemées. Par-delà, au loin, il
devinait à peine la blanche écume des vagues de la baie.
Près du fleuve se dressaient des
tas de pierres et des piles de bois de charpente ; or, Iori avait beau savoir
que les constructions poussaient comme des champignons dans tout Edo, il
trouvait bien peu vraisemblable que le seigneur Yagyū bâtît sa résidence
dans un quartier pareil.
« Où donc aller ? »
se dit-il, découragé, en s’asseyant sur un tas de bois. Ses pieds fatigués lui
faisaient mal. Pour les rafraîchir, il agita les orteils dans l’herbe humide de
rosée. Bientôt, il se calma et sa sueur sécha, mais son moral demeura nettement
bas.
« Tout ça, c’est la faute de
cette vieille bonne femme de l’auberge, grommela-t-il entre ses dents. Elle ne
savait pas ce qu’elle disait. » Le temps que lui-même avait passé à
badauder au quartier des théâtres de Sakaichō lui était opportunément
sorti de l’esprit.
Il était tard, et il n’y avait
personne à qui demander son chemin. Pourtant, la perspective de passer la nuit
dans ce décor inconnu le rendait mal à l’aise. Il devait porter son message et rentrer
à l’auberge avant l’aube, dût-il pour cela réveiller l’un des ouvriers.
En s’approchant de la masure la
plus proche où il y avait de la lumière, il vit une femme avec un bout de natte
noué sur la tête en guise de fichu.
— Bonsoir, tantine, dit-il avec
innocence.
Le prenant à tort pour le serveur
d’un proche débit de saké, la femme le foudroya du regard, renifla et
répliqua :
— Alors, c’est toi ? Tu
m’as lancé une pierre et tu as filé, hein, espèce de petit morveux ?
— Il ne s’agit pas de
moi ! protesta Iori. C’est la première fois de ma vie que je vous
vois !
La femme s’avança vers lui,
hésitante, puis éclata de rire.
— Non, fit-elle, ce n’est pas
lui. Que fait donc un gentil petit garçon comme toi, à rôder par ici à cette
heure de la nuit ?
— On m’a envoyé en course,
mais je n’arrive pas à trouver la maison que je cherche.
— La maison de qui ?
— Du seigneur Yagyū de
Tajima.
— Tu plaisantes ?
s’écria-t-elle en riant. Le seigneur Yagyū est un daimyō, et un
maître du shōgun. Crois-tu qu’il t’ouvrirait sa porte, à toi ?
Nouveau rire.
— ... Tu connais peut-être un
domestique ?
— J’apporte une lettre.
— A qui ?
— Un samouraï appelé Kimura Sukekurō.
— Il doit faire partie de la
suite. Mais toi, tu es si comique – à jeter à tous les vents le nom du
seigneur Yagyū comme si tu le connaissais !
— Je veux seulement remettre
cette lettre. Si vous savez où est la maison, dites-le-moi.
— Elle est de l’autre côté du
fossé. En traversant ce pont, là-bas, tu tombes devant la maison du seigneur Kii.
La suivante est celle du seigneur Kyōgoku, puis celle du seigneur
Katō, puis celle du seigneur Matsudaira de Suō.
Les doigts levés, elle énumérait
les maisons cossues de l’autre rive.
— ... Je suis certaine que
celle qui vient ensuite est celle que tu cherches.
— Si je traverse le fossé, je
serai toujours à Kobikichō ?
— Bien sûr.
— Bon Dieu de bon Dieu !
— Allons, en voilà des façons
de parler !... Hum, tu m’as l’air d’un si gentil garçon que je
t’accompagne pour te montrer la maison du seigneur Yagyū.
Marchant devant lui, sa natte sur
la tête, elle faisait plutôt à Iori l’effet d’un fantôme. Ils se trouvaient au
milieu du pont lorsqu’un homme qui venait vers eux frôla la manche de la femme
en sifflant. Il puait le saké. Avant qu’Iori comprît ce qui se passait, la
femme se détourna pour se diriger vers l’ivrogne.
— ... Je te connais,
gazouilla-t-elle. Ne me fais donc pas l’œil de verre. Ça n’est pas gentil.
Elle le saisit par la manche et
s’efforça de l’entraîner sous le pont.
— Lâche-moi, dit-il.
— Tu ne veux pas venir avec
moi ?
— Pas d’argent.
— Oh ! ça m’est égal.
Accrochée à lui
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