La Part De L'Autre
demain.
Mon
livre est prêt dans ma tête. Surtout ne pas écrire
tout de suite. Me retenir. Maintenir l'impatience. Vivre pour le
rendez-vous. Faire durer l'attente, aiguiser le désir.
La
littérature sur Hitler m'apparaît pleine d'erreurs.
Mais
ces erreurs sont passionnantes ; elles racontent ceux qui les
commettent, elles expriment l'époque qui les produit.
Première
erreur : la judéité cachée d'Hitler. Cette thèse
du grand-père juif ne tient pas scientifiquement la route mais
elle m'émeut. Elle montre comment, après la guerre, les
hommes ont voulu signifier que l'holocauste est fratricide. Si Hitler
a du sang juif, il s'est tué lui-même. Tout génocide
est un humanocide. Au fond, tout meurtre est un suicide.
Deuxième
erreur : l'antisémitisme original d'Hitler. Il a tenté
lui-même dans Mein
Kampf de
faire croire à une défiance quasi instinctive envers
les Juifs. En réalité, les témoignages le
prouvent : Hitler ne fut pas antisémite avant 1918, pas
antisémite avant d'avoir « besoin de l'être ».
Sa jeunesse fourmille de compagnonnages pacifiques avec des Juifs. II
ne verse dans la haine antisémite qu'à la fin de la
guerre pour s'expliquer la défaite de l'Allemagne. Voici le
syllogisme : mes officiers étaient juifs et allemands ; or
l'Allemagne perd la guerre ; donc on ne peut être juif et
allemand à la fois. Les Juifs sont désormais désignés
comme les coupables de la défaite. Explication simpliste,
explication magique, conclusion stupide d'un homme qui tente de
comprendre pourquoi il a passé quatre ans en vain dans les
tranchées. L'antisémitisme d'Hitler est historique au
double sens du terme. Historique parce qu'il advient à sa
vingt-neuvième année. Historique car c'est l'Histoire,
avec ses guerres, sa violence et son traité de Versailles
imbécile qui provoque cet « antisémitisme
réflexe » chez lui.
Troisième
erreur : la sexualité d'Hitler. Chaque décennie produit
sa théorie sur la sexualité d'Hitler. Toujours
différente. Toujours perverse. Parfois sadomasochiste. Parfois
scatologique. Parfois homosexuelle. Tout ce fatras me semble naïf
et dangereux. Les raisonnements s'enchaînent rapidement de
façon glissante : Hitler est un monstre parce qu'il est un
pervers, donc tous les pervers sont dangereux. Un puritanisme stupide
et inavoué me semble gouverner ces pseudo-études. Un
puritanisme qui vise à normaliser, à exclure Hitler ou
tout fantaisiste sexuel de l'humanité. Un puritanisme qui
discrimine. Un puritanisme qui cloue sur une croix la différence.
Certes,
un homosexuel n'a pas envie de découvrir qu'Hitler aurait pu
être homosexuel. Mais un hétérosexuel non plus ne
serait pas ravi de découvrir qu'Hitler fut hétérosexuel.
Ces textes visent, comme d'habitude, à dire « Hitler
n'est pas moi, en tout cas pas comme moi ».
Décidément,
plus j'avance, plus je découvre que tous les discours sont mus
par cette même invisible idée : Hitler est l'autre.
Mon
livre sera un piège tendu à cette idée. En
montrant qu'Hitler aurait pu devenir autre qu'il ne fut, je ferai
sentir à chaque lecteur qu'il pourrait devenir Hitler.
Je
reviens sur la sexualité d'Hitler. Pourquoi ? Parce qu'on ne
peut comprendre un individu sans analyser cette modalité de
son rapport à autrui. Pour moi, il s'agit plus d'éthique
que de psychanalyse ; il faut examiner les « liens »,
la « relation ». Loin de penser, comme Freud,
que la sexualité soit déterminante, je crois juste
qu'elle est révélatrice. A sa manière, elle
exprime le rapport qu'un être entretient avec ses semblables
donc, par-delà, avec toute l'humanité.
Je
distingue deux types de sexualité : une sexualité qui
est rapport
à l’autre et
une sexualité qui est rapport
à soi. Une sexualité
altruiste et
une sexualité
égocentrée.
La sexualité
égocentrée est
d'abord masturbatoire, fétichiste, voyeuse, mais elle ne
demeure pas forcément solitaire. Elle peut intégrer des
partenaires. Cependant, ces partenaires ont accès à la
scène, pas au moi. Ils n'existent que dans la mesure où
ils tiennent leur rôle par rapport à l'ego concerné.
Le sexuel égocentré se sert des autres comme
d'instruments pour atteindre sa jouissance. Les autres sont ravalés
au rang d'objets ou d'acteurs tenant un emploi. Si l'autre se révèle
comme autre, il devient obstacle, le rapport cesse.
Tout
au contraire, dans la sexualité
altruiste, l'autre
est bien ce que vise l'échange, l'autre
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