La Part De L'Autre
conduit à l’élaboration
de l’Hitler virtuel.
Depuis
le premier jour, je réponds à cette question et out mon
livre consiste en cette réponse. Il n’y a aucun
arbitraire mais un principe philosophique et une visée éthique
: j'élabore un double portrait antagoniste. Adolf H. cherche à se
comprendre tandis que le véritable Hitler s'ignore. Adolf H.
reconnaît en lui l'existence de problèmes tandis
qu'Hitler les enterre. Adolf H. guérit et s'ouvre aux autres
tandis qu'Hitler s'enfonce dans sa névrose en se coupant de
tout rapport humain. Adolf H. affronte la réalité
tandis qu'Hitler la nie dès qu'elle contrarie ses désirs.
Adolf H. apprend l’humilité tandis qu'Hitler devient le
Führer, un dieu vivant. Adolf H. s'ouvre au monde ; Hitler le
détruit pour le refaire.
Du
coup, j'ai fortement envie de privilégier mon deuxième
titre, La
Part de l'autre, car
non seulement il donne le principe du livre mais il en suggère
la dimension éthique : poursuite de l'altérité
chez Adolf H., fuite de l'altérité chez Hitler.
Dans
ce roman, ce sont les femmes qui m'ont apporté de la lumière.
Sœur Lucie, Onze-heures-trente, Sarah…
Mon
éditeur soumet le texte à des lecteurs historiens. Cela
me vexe pendant une bonne semaine. Mais, comme ils ne trouvent aucune
erreur, ma vexation disparaît aussi vite qu'elle est venue.
Quelqu'un
me dit, apprenant le sujet de mon livre :
Décidément,
vous êtes le roi du sujet casse-gueule. Freud et Dieu dans Le
Visiteur, le
solipsisme dans La
Secte des égoïstes, Pilate,
la morale dans Le
Libertin, le
coma dans Hôtel
des deux Mondes, l'islam
dans Monsieur
Ibrahim.
Je
tremble. Il ajoute :
Et
cependant, vous ne vous cassez jamais la gueule !
Il
rit. Moi pas.
Et
si c'était cette fois... J'ai plus peur que jamais.
Que
veut dire « rater » ou « réussir » un
livre ? Seul l'auteur le sait puisqu'il peut confronter ses
intentions au résultat.
Pour
moi, j'ai accompli mon projet. Après, qu'il plaise ou déplaise
m'importe peu, tel n'est pas mon but. Je me rends bien compte que je
fais appel à un lecteur exigeant qui voudra mener en ma
compagnie une réflexion parfois embarrassante.
Autour
de moi, ceux qui refusent ce livre en refusent en fait l'idée
même. Tant pis pour eux.
L'écriture
de ce livre m'aura beaucoup appris. Tant qu'on ne reconnaîtra
pas que le salaud et le criminel sont au fond de nous, on vivra dans
un mensonge pieux. Qu'est-ce qu'un salaud ? Quelqu'un qui n'a jamais
tort à ses propres yeux. Qu'est-ce qu'un criminel ? Quelqu'un
dont les actes négligent l'existence des autres.
Nécessairement, j'ai ces deux pentes en moi, je peux y
glisser.
Après
l'expérience de ce livre, je développerai mon sens de
la culpabilité : si je me sens légèrement
coupable, je ne fuirai plus ce sentiment, je le gratterai, je
l'exagérerai, je m'y soumettrai.
Après
l'expérience de ce livre, je me méfierai encore plus
des idées simples. A un mal, trouver une cause unique, ce
n'est pas réfléchir, c'est caricaturer, réduire,
tomber dans l'accusation plus que dans l'explication.
Après
l'expérience de ce livre, je suspecterai tout homme qui
désigne un ennemi.
Hitler
est une vérité cachée au qui peut toujours
resurgir.
J'ai
rendu mes épreuves à l'imprimerie. Bouteille à
la mer. Qui me lira ? Qui me comprendra ? Qui me répondra ?
E.E.S.
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