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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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avec ses spécificités,
ses désirs, ses dégoûts, ses rythmes, son regard.
La sexualité altruiste n'est ni une sexualité
philanthropique ni une sexualité servile. Ne se confondant pas
avec le pur service de l'autre, c'est une sexualité qui
cherche la rencontre avec l'autre dans l'ordre des corps, du
frôlement, de la caresse, du baiser, de la volupté. Quoi
de plus beau, comme rapport humain, qu'un être qui jouit de la
jouissance de l'autre ? Que des yeux qui cherchent le plaisir dans
les yeux de l'autre ? L'orgasme simultané. L'amour les yeux
ouverts.
    Notre
sexualité n'est qu'un de nos moyens d'exister avec les autres.
Ou d'exister sans eux. Dans tous les cas, elle révèle
notre ouverture ou notre fermeture aux autres.
    Hitler
n'avait presque pas de vie sexuelle. D'après les témoignages
fiables, il n'en avait pas la possibilité dans sa jeunesse,
pas l'envie lors de la guerre, pas le temps pendant sa vie politique.
Des compagnons d'études ou de galère, des copains de
tranchées ou bien des secrétaires témoignant
lors du procès de Nuremberg, on recueille le même
témoignage : Hitler n'a pas de relations sexuelles.
    Certes,
dès qu'il devient un personnage public des femmes s'approchent
de la vedette et font de la figuration dans son cercle. Toutes se
suicideront ou tenteront de se suicider. Car jamais Hitler n'entre
dans un rapport vrai avec quiconque. Cet homme a peut-être eu
une sexualité mais une sexualité sans partenaire.
    Il
se contentait de faire l'amour aux foules. Je dois écrire un
texte sur la sublimation de sa vie sexuelle ratée dans sa vie
d'orateur.

    Des
amis et des membres de ma famille me supplient de renoncer à
ce livre. Cela me conforte.

    Je
me sens prêt à écrire. Fort heureusement, je
crois en être empêché quelques jours encore par la
promotion des pièces et des livres précédents.
Cette distraction forcée va tendre encore plus la corde de
l'arc. La
flèche partira toute seule lorsque je rentrerai chez moi, à Dublin,
pour écrire.

    Impatience.
J'ai des fourmis dans la plume. Vite. Rentrer à ma
table. J'en ai assez de conférer sur moi-même, je
voudrais parler de « lui ».
    J'occupe
les rares heures libres des voyages promotionnels à écouter
du Wagner. Hitler en raffolait, comme on le sait, depuis
l'adolescence.
    Moi
aussi, j'ai eu quinze ans avec Wagner. Je pleurais sur ses pages
orchestrales, j'éprouvais des frissons mystiques sur les
cordes aiguës, j'avais des spasmes musicaux lorsque les cuivres
explosaient au-dessus des archets déchaînés. Moi
aussi, j'ai eu quinze ans avec Wagner mais je ne les ai plus. Par
conscience artistique, j'ai pris connaissance de presque tous ses
opéras, j'ai assisté à des
représentations, j'ai même accompagné des Elsa ou
des Elisabeth au piano, mais je n'ai plus de goût pour lui. Je
n'en écoute jamais.
    Cette
exaltation frénétique dans laquelle il maintient ses
auditeurs convenait à mes
quinze ans. C'est une musique qui parle aux puceaux et aux frustrés.
Depuis que ma vie est épanouie, il y a de la place pour Bach,
pour Mozart, plus pour Wagner.
    Le
fait qu'Hitler n'ait jamais renoncé à sa
pure idolâtrie wagnérienne semble me confirmer qu'il n'a
pas évolué, ni sexuellement, ni artistiquement, ni
humainement entre quinze ans et cinquante-six ans. N'oublions pas
qu'il est mort en réécoutant l'ouverture de Rienzi. Régulièrement,
je mets le disque et je me joue la scène.
    Rentré à Dublin,
je commence demain.
    Le
trac succède à l'impatience.
Eprouvante vie que celle d'écrivain...

    Catastrophe.
J'ai écrit aujourd'hui les premières pages du livre et
j'ai compris qu'il serait long. Une découverte dont je me
serais bien passé. Mais les livres nous disent, dès
leurs premiers mots, comment ils doivent s'écrire et nous
indiquent le temps qu'ils exigeront de nous.
    Alors
que j'estimais composer un livre court et insolent de cent cinquante
pages, je découvre ce soir qu'il me demande d'être épais
et romanesque ; il exige de faire vivre les êtres, les époques,
les lieux, pas seulement les idées, je ne saurai me contenter
d'allusions. Il commande. J'obéirai.
    Nous
voici partis pour un minimum de quatre cents pages. Aurai-je la force
de traverser l'hiver et le printemps, attelé, tous les jours, à cette
tâche ?

    Mes
livres me demandent plus que ce que je ne leur demande. Ce deuxième
jour d'écriture m'a confirmé la nécessité
d'un gros volume. Ça y est, je ne suis plus écrivain,
je ne

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