La passagère du France
Il ne restait plus à régler que le cas de Gérard. Autrement dit, rien de grave. Alors, puisque tout le monde souhaitait en finir et que même Jackie Kennedy le demandait, il ne gâcherait pas la fête. Les marins de la bordée continueraient à travailler tous ensemble et il ne serait plus question de rien. Et quelles que soient les raisons de Pierre Vercors pour s’être mêlé de cette affaire, le commissaire garderait ça pour lui. Officiellement, l’affaire était close.
Une fois sa décision prise, le commissaire poussa un immense soupir de soulagement. Enfin, il voyait le bout de cette maudite histoire de bouteille de Champagne ! Enfin, lui aussi allait pouvoir profiter de la fête.
50
D’un bout à l’autre du France, on dansait et on Chantait avec enthousiasme. Le Champagne pétillait dans les verres. L’atmosphère était gaie, chaleureuse. Mais pour Sophie la soirée ne se passa pas comme elle l’avait espéré. L’ambiance était pourtant exactement ce qu’elle aimait. Rien de guindé et rien de surfait non plus. Mais l’officier avait disparu après la valse et plus rien ne l’intéressait. Une sorte de désenchantement l’avait gagnée, et aussi la culpabilité d’avoir délaissé Chantal. Elle ne se sentait plus du tout de faire la fête et elle prit le premier prétexte pour ne pas s’y attarder.
Elle laissa Béatrice et les autres journalistes, l’Académicien et Joseph Kessel, le baron et sa femme, Michèle Morgan et Juliette Gréco, toutes les célébrités américaines venues pour la soirée et tous ces inconnus riches et élégants. Pensant que Michèle et Chantal devaient l’attendre au pressing malgré l’heure plus que tardive, elle s’arma de tout son courage et alla les rejoindre. Elle devait leur avouer qu’elle n’avait rien fait, qu’elle n’avait même pas essayé de parler de Gérard, que c’était raté. Sur la moquette rouge du grand hall, elle était seule et tournait en rond. Elle réfléchissait à la façon de s’y prendre. Un jeune groom vint lui proposer ses services. Désirait-elle qu’il la guide ? De quoi avait-elle besoin ? Elle le remercia et déclina son offre. Elle serait bien restée là un moment car l’ambiance du grand hall d’ordinaire grouillante était apaisante, si calme étrangement, alors que partout, dans la nuit du paquebot, on s’affairait. Mais les jeunes grooms qui veillaient aux ascenseurs l’observaient et elle décida de rejoindre tout de suite le pressing par l’escalier central. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise en prenant conscience qu’elle avait complètement oublié la mission qui lui avait été confiée. Mais elle dirait la vérité sans détour, elle dirait qu’elle n’avait rien tenté.
Elle monta des escaliers, fit toute la longueur du pont véranda, ouvrit des portes et en referma, parcourut des coursives, monta à nouveau des escaliers et en redescendit, elle s’égara et ne prit sans doute pas le chemin le plus court, mais elle arriva enfin. À sa très grande surprise et avant qu’elle ait pu dire un seul mot, elle fut accueillie par Michèle qui lui ouvrit les bras :
— Ah, vous voilà ! Justement on parlait de vous. Je ne sais pas comment vous avez fait, mais je peux dire que vous êtes drôlement efficace. Et drôlement culottée.
— Mais...
— Ne dites rien, chuchota Michèle en s’avançant, ce n’est pas la peine. Je ne sais pas comment vous vous y êtes prise, mais le résultat est là. Francis sort d’ici. Il nous a annoncé que le commissaire avait décidé de fermer les yeux pour l’affaire de Gérard. C’est presque un miracle ! Je dois dire que vous m’épatez, mais j’ai senti que vous seriez à la hauteur. Je l’avais dit à Chantal.
Sophie allait de surprises en surprises. Pour la résolution du problème des marins, ce n’était pas le moment de détromper Michèle. Sophie verrait plus tard. Elle s’expliquerait.
— Chantal est heureuse alors, soulagée, fit-elle pour dire quelque chose.
— Elle ne le sait pas encore, je ne sais pas où elle est allée se fourrer, impossible de la trouver. Mais bon, elle va arriver, elle sait qu’on a du boulot.
Sophie ne s’attarda pas. Elle quitta Michèle qui lui fit mille remerciements et alla flâner sur les ponts. Le jour allait se lever et la ville de New York ne s’éteignait toujours pas. De là où elle se trouvait, sur le pont à l’arrière du France, Sophie voyait au premier plan sur
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