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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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que vous désiriez savoir, je ferais mieux de m’en aller.
    — Encore une seconde, dit Takezō.
J’ai une autre question à vous poser.
    — Laquelle ?
    — L’autre nuit, celle de
notre arrivée ici, nous avons vu une fille, là-bas, sur le champ de bataille ;
elle vous ressemblait trait pour trait. C’était vous, n’est-ce pas ?
    Akemi fit rapidement demi-tour, et
ouvrit la porte.
    — ... Que faisiez-vous, là-bas ?
    Elle claqua la porte derrière
elle, et tandis qu’elle courait vers la maison la clochette tintait suivant un
rythme étrange, irrégulier.
     
     
     
Le peigne
     
    A près d’un mètre soixante-quinze,
Takezō était grand pour les gens de son époque. Son corps évoquait celui d’un
beau coursier : fort et souple, avec de longs membres nerveux. Il avait
des lèvres pleines, rouge vif, et ses épais sourcils noirs n’étaient pas
broussailleux grâce à leur forme élégante. S’étendant bien au-delà des coins
externes de ses yeux, ils accentuaient son aspect viril. Les villageois le
surnommaient « l’enfant d’une année grasse », expression qui ne
désignait que les enfants aux traits plus accentués que la moyenne.
    Loin d’être une insulte, ce surnom
ne l’isolait pas moins des autres jeunes, ce qui le gêna beaucoup dans son
enfance.
    Bien qu’elle ne servît jamais pour
désigner Matahachi, l’expression eût tout aussi bien pu s’appliquer à lui. Un
peu plus court et trapu que Takezō, il avait le torse en tonneau et la
face ronde, ce qui donnait une impression de jovialité sinon de franche
bouffonnerie. Il avait tendance, en parlant, à rouler ses yeux globuleux, un
peu saillants, et la plupart des plaisanteries faites à ses dépens le comparaient
aux grenouilles qui ne cessent de coasser durant les nuits d’été.
    A l’apogée de leur croissance, les
deux adolescents étaient prompts à se remettre de la plupart des maux
physiques. Quand Takezō fut tout à fait guéri de ses blessures, Matahachi
ne put supporter plus longtemps son incarcération. Il se mit à arpenter le
bûcher comme un fauve en cage, en se plaignant sans fin d’être emprisonné. Plus
d’une fois, il commit l’erreur de déclarer qu’il avait l’impression d’être un
grillon dans un trou humide et sombre, s’exposant de la sorte à la repartie de Takezō :
grenouilles et grillons passent pour apprécier de pareilles conditions de
logement. A un certain moment, Matahachi dut se mettre à épier la maison car un
jour il se pencha au-dessus de son compagnon de cellule, comme pour lui faire
part d’une fracassante nouvelle :
    — Tous les soirs,
chuchota-t-il gravement, la veuve se met de la poudre sur la figure et se fait
belle !
    Le visage de Takezō devint
celui d’un garçon de douze ans qui déteste les filles, et constate chez son
meilleur ami une défection, un intérêt naissant pour « elles ».
Matahachi s’était rendu coupable de trahison, et Takezō le considérait
avec un dégoût caractérisé.
    Matahachi commença d’aller à la
maison s’asseoir au coin du feu avec Akemi et sa jeune mère. Au bout de trois
ou quatre jours passés à bavarder et plaisanter avec elles, l’hôte aimable fit
partie de la famille. Il cessa de retourner au bûcher, même la nuit, et, les
rares fois qu’il le fit, son haleine sentait le saké, et il essaya d’attirer Takezō
dans la maison en lui vantant la belle vie que l’on menait à quelques mètres.
    — Tu es fou ! répliquait
Takezō exaspéré. Tu vas nous faire tuer, ou tout au moins ramasser. Nous
sommes des vaincus, des fuyards – ne peux-tu donc te mettre ça dans
la tête ? Nous devons prendre garde et nous faire tout petits jusqu’à ce
que les choses se calment.
    Mais il ne tarda pas à se lasser
de raisonner son ami épris de plaisir, et, à la place, commença de lui répondre
avec sécheresse : « Je n’aime pas le saké », ou d’autres fois :
« Je me plais bien au bûcher. C’est confortable. »
    Takezō, lui aussi, commençait
à s’énerver. Il s’ennuyait à périr, et finit par montrer des signes de
faiblesse :
    — Est-ce que vraiment on ne
risque rien ? demandait-il. Je veux dire : dans les parages ?
Aucune trace de patrouilles ? Tu es bien sûr ?
    Après avoir été enterré vingt
jours dans le bûcher, il finit par en sortir pareil à un prisonnier de guerre à
moitié mort de faim. Sa peau avait l’aspect translucide et cireux de la mort, d’autant
plus visible

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