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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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lisait :
     
    ROXANA
MAURY FISH
     
    1822-1862
     
    Épouse
et Mère Chérie
    Combattante
de la Liberté
     
    « Je regrette tellement de ne pas avoir été là, avoua
Liberty.
    — Tu n’aurais rien pu faire.
    — Sauf, peut-être, la chose qui…
    — Oui, je sais. Toi et ces maudites lettres. On aurait
dit que tu essayais de la protéger des tirs ennemis. »
    Ils restèrent côte à côte, dans une solitude partagée,
feignant d’examiner le sol aride tandis qu’autour d’eux les branches flétries
crissaient au vent glacial.
    « Elle aurait été tellement fière de toi, déclara
Thatcher.
    — Je n’ai rien fait de plus que les autres, dans les
deux camps.
    — Mais tu étais son fils. »
    Liberty ne dit rien.
    « Reste aussi longtemps que tu voudras, lui glissa
doucement Thatcher. Je serai à l’intérieur. »
    Un peu plus tard, Liberty leva brusquement les yeux, se
demandant où était passé son père. Il remarqua à peine les bois ruisselants, le
ciel bouillonnant, la biche solitaire, dans la clairière d’une colline
lointaine, qui se frayait délicatement un chemin parmi les congères, mais il
entendait la voix de sa mère, la voix ferme qu’elle avait à la tribune, aussi
clairement que le babil agressif des écureuils dans les arbres tout
proches : « Telles des fleurs inclinées vers le soleil, nous penchons
toujours, tous autant que nous sommes, noirs ou blancs, malgré les obstacles en
légion, vers les vertus, les exigences et, oui, les plaisirs absolus de notre
4 Juillet personnel, physiquement, mentalement, spirituellement. C’est là
l’empreinte du Créateur sur notre nature. » Alors Liberty s’agenouilla
dans la neige, déposa un baiser sur sa paume et la pressa contre le marbre
froid.
    En se relevant, alors qu’il se préparait à partir, il vit,
debout, respectueux, parmi les ombres du seuil à l’arrière de la maison, un
petit homme ratatiné, lourdement appuyé sur une canne.
    « Euclid ! » cria Liberty, et il fila sans
réfléchir à travers la pelouse gelée pour soulever son vieil ami et l’étouffer
dans une étreinte spectaculaire et vibrante.
    « Ça suffit, mon garçon, ça suffit, le réprimanda
Euclid en lui tapotant le dos avec sa canne.
    — Non mais regarde-moi ça ! Tu n’as pas du tout
changé !
    — Liberty, tu n’arrivais déjà pas à me faire avaler tes
bobards quand tu avais six ans, alors il est trop tard pour essayer.
    — Bon, d’accord : c’est vrai que tu t’es rasé la
tête. »
    Euclid passa les doigts sur la merveille phrénologique de
son crâne nu. « C’est l’Esprit qui m’a dit de le faire. Je devrais partir
très bientôt, et voyager léger c’est voyager aisé.
    — Partir pour où ?
    — Mais pour la Terre de Canaan, bien sûr !
    — Il n’est pas un tout petit peu tôt pour faire ce
voyage ?
    — C’est pas moi qui fixe les horaires. » Il tendit
la main et saisit le menton râpeux de Liberty. « Je vois que le petit
garçon a disparu de ton visage.
    — Je suis un vieillard, Euclid, rempli de pensées de
vieillard.
    — J’ai toujours suspectionné que tu t’en sortirais.
    — J’aurais aimé en dire autant.
    — Maintenant, viens », lui ordonna-t-il d’un geste
brusque. Et il le conduisit, avec une lenteur douloureuse, dans l’escalier
précaire et inégal qui menait au cellier et à ses quartiers où, sur la terre
battue au fond de la pièce, sous une carte détaillée du canal de l’Érié, avait
été construite une maquette miniature mais exhaustive de la voie d’eau,
d’Albany à Buffalo. Tout y était : écluses en état de marche, auberges,
relais, granges, ponts et chemins de halage, même les bittes d’amarrage ;
et les principaux villages du parcours étaient représentés par des grappes de
petites maisons émaillées.
    « J’en suis tout ébaubi, s’extasia Liberty. Le temps
nécessaire, la persévérance, le simple fait d’entreprendre un tel projet
dépassent l’entendement.
    — Tout ça ne compte pas, expliqua Euclid. Je m’essayais
à un sortilège. J’étais habité par l’idée extravagante que, si je m’y mettais
sérieusement sans jamais fléchir, chaque heure où j’y travaillerais serait pour
toi une heure de vie, où aucune balle ne pourrait t’atteindre.
    — Il y en a quelques-unes qui ne sont pas passées loin,
mais comme tu sais, Euclid, je suis le roi de l’esquive.
    — Et ça, déclara fièrement Euclid, c’est pour
toi »,

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