La Prison d'Édimbourg
avait d’ailleurs besoin de voir Butler, parce qu’elle désirait le prier d’écrire à son père pour lui faire part de son voyage, et de l’espoir qui le lui avait fait entreprendre. Un autre motif qui l’y portait aussi, presque à l’insu d’elle-même, était le désir de revoir encore une fois l’objet d’une tendresse déjà ancienne et toujours sincère, avant de commencer un voyage dont elle ne se dissimulait pas les périls, quoiqu’elle s’efforçât de n’y point songer pour ne pas risquer d’affaiblir l’énergie de sa résolution. Une visite faite à un amant par une jeune personne d’une condition plus élevée que Jeanie aurait été une démarche peu convenable en elle-même ; mais la simplicité de ses mœurs champêtres ne lui permettait pas de concevoir ces scrupules d’un décorum rigoureux, et sa conscience fut bien loin de lui rien reprocher pour aller prendre congé d’un ami d’enfance, avant de s’en éloigner peut-être pour long-temps.
Un autre motif inquiétait vivement son cœur à son approche du village. Elle s’était imaginé que Butler, autant par suite de l’intérêt qu’il devait prendre à l’ancien protecteur de son enfance, que par affection pour elle, se trouverait dans la salle d’audience lors du jugement de sa sœur. Elle l’avait cherché des yeux parmi les spectateurs, ne l’avait pas aperçu, et ses yeux ne pouvaient l’avoir trompée. Elle savait bien qu’il était dans un certain état de contrainte ; mais elle avait espéré qu’il trouverait quelque moyen de s’en affranchir, au moins pour un jour. En un mot, ces pensées étranges et vagues, que Wordsworth {80} attribue à l’imagination d’un amant absent, lui suggérèrent que, si Butler n’avait pas paru, c’était pour cause de maladie. Cette idée s’était tellement emparée de son imagination, que, lorsqu’elle approcha de la chaumière dans laquelle son amant occupait un petit appartement, et qui lui avait été indiquée par une jeune fille portant un pot au lait sur sa tête, elle tremblait en songeant à la réponse qu’on pourrait lui faire quand elle demanderait à lui parler.
Ses craintes n’étaient pas chimériques. Butler était d’une constitution délicate. Il n’avait pu résister aux fatigues de corps et aux inquiétudes d’esprit qu’il avait éprouvées depuis le jour de la mort de Porteous, et par suite de cet événement tragique ; l’idée que même en l’élargissant on avait conservé des soupçons contre lui, vint encore aggraver ses souffrances morales.
Mais ce qui lui parut le plus difficile à supporter fut la défense formelle que lui firent les magistrats d’avoir, jusqu’à nouvel ordre, aucune communication avec Deans et sa famille. Il leur avait paru vraisemblable que Robertson tenterait d’avoir encore quelque relation avec cette famille, qu’il pourrait une seconde fois prendre Butler pour intermédiaire, et ils désiraient l’en empêcher, dans l’espoir que quelque indiscrétion de sa part pût conduire à sa découverte. Cette mesure n’avait pas été inspirée aux magistrats par un esprit de méfiance contre Butler ; mais, dans la circonstance où il se trouvait, il en avait été humilié, et il était en outre désespéré en pensant que Jeanie, qu’il aimait si tendrement, pourrait croire qu’il s’éloignait d’elle, et qu’il l’abandonnait dans le moment où elle avait le plus besoin de consolations.
Cette idée pénible, la crainte d’être exposé à des soupçons qu’il était si éloigné de mériter, se joignant aux fatigues de corps qu’il avait essuyées, lui occasionèrent une fièvre lente qui finit par le rendre incapable de s’occuper même des devoirs journaliers et sédentaires qu’il remplissait dans son école, et qui formaient tous ses moyens d’existence. Heureusement pour lui, le vieux M. Whackbairn, qui était son supérieur dans l’école de la paroisse, lui était sincèrement attaché. Outre qu’il connaissait le mérite et les talens de son sous-maître, qui avait attiré chez lui un assez grand nombre d’élèves, il avait lui-même reçu une bonne éducation ; il conservait du goût pour les auteurs classiques ; et, lorsque ses écoliers étaient congédiés, il se délassait volontiers de l’ennui que lui occasionaient les leçons qu’il était obligé de donner à des enfans, en lisant avec son sous-maître quelques pages d’Horace ou de Juvénal. Une
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