La Prison d'Édimbourg
modérés et justes dans le pouvoir, tandis que le lecteur impartial des annales de ces temps-là les déclarera sanguinaires, violens et tyranniques. D’autre part, les descendans des malheureux non-conformistes veulent que leurs ancêtres les Cameroniens soient représentés non pas simplement comme d’honnêtes enthousiastes, opprimés pour leur conscience, mais comme des héros distingués par leur éducation et leur bravoure. En vérité l’historien ne peut satisfaire de telles préventions. Il faut qu’il décrive les Cavaliers comme valeureux, fiers, cruels, vindicatifs et sans remords, et le parti opprimé comme attaché honorablement à ses opinions, malgré les persécuteurs, mais sans cesser d’être grossier, farouche et cruel ; ces opinions mêmes furent absurdes et extravagantes, et ceux qui en étaient les martyrs auraient eu plutôt besoin d’ellébore que des condamnations à mort pour haute trahison. Toutefois, malgré le blâme que méritent les deux partis, il y avait, il n’en faut pas douter, des hommes vertueux et de mérite dans l’un et dans l’autre. On m’a demandé à moi Jedediah Cleishbotham, de quel droit je me suis constitué moi-même juge impartial de leurs différences d’opinion, considérant, a-t-on avancé, que je dois être nécessairement descendu de l’un ou de l’autre parti, avoir épousé l’un ou l’autre, selon la pratique d’Écosse, et être tenu (pour parler sans métaphore, ex jure sanguinis) à défendre ses principes envers et contre tous.
Mais, sans nier en rien la juste raison de cette coutume, qui force la génération existante à régler ses opinions politiques et religieuses sur celles de ses aïeux, et quelque embarrassant que semble le dilemme par lequel mes critiques croient m’avoir mis au pied du mur, je vois encore un refuge, et n’en réclame pas moins le privilége de parler des deux partis avec impartialité. Car, écoutez-moi bien, messieurs les grands logiciens, lorsque les prélatistes et les presbytériens d’autrefois étaient en guerre dans ce malheureux pays, mon ancêtre (honneur à sa mémoire !) était membre de la secte des Quakers, et souffrit les persécutions des deux côtés, jusqu’à l’épuisement de sa bourse et l’incarcération de sa personne.
Là-dessus, aimable lecteur, je te demande pardon de ce peu de mots sur moi et les miens, et me dis comme auparavant ton ami constant et obligé,
J. C.
Gander-Cleugh, le 1 er avril 1818.
CHAPITRE PREMIER
SERVANT D’INTRODUCTION.
« Romantique Ashbourne, ainsi sur tes hauteurs
» Glisse la diligence avec six voyageurs. »
FRÈRE.
Le temps n’a nulle part apporté plus de changemens (nous suivons, selon notre habitude, le manuscrit de Pierre Pattieson) que dans les moyens de transport et de communication entre les différentes parties de l’Écosse. Il n’y a pas plus de vingt ou trente années, si l’on en croit plusieurs témoins respectables encore vivans, qu’une misérable petite carriole, faisant, avec beaucoup de peine, trente milles à la journée, portait les dépêches de la capitale de l’Écosse à son extrémité ; et l’Écosse n’était guère à cet égard plus mal servie que sa sœur plus opulente ne l’était il y a environ quatre-vingts ans. Fielding, dans son Tom-Jones , et Farquhar, dans une petite farce intitulée : the Stage-Coach {2} , s’égaient sur la lenteur de ces voitures publiques. Au dire de ce dernier auteur, il fallait un pourboire très élevé pour arracher du cocher la promesse de devancer d’une demi-heure le moment de son arrivée au Bull and Mouth {3} .
Mais ces carrosses antiques, lents et sûrs, ont maintenant entièrement disparu de l’une et de l’autre contrée : malles-postes et célérifères rivalisent de toutes parts, et traversent la Grande-Bretagne en tous les sens ; dans notre seul village, trois diligences en poste, quatre voitures avec leurs hommes armés, en casaque rouge, ébranlent les rues chaque jour, le disputent par leur magnificence et leur vacarme à l’invention de ce tyran fameux
Démens ! qui nimbos et non imitabile fulmen
Ære et cornipedum pulsu simulârat equorum {4} .
Quelquefois même, pour compléter la ressemblance et pour corriger la présomption des postillons trop audacieux, la course rapide de ces impétueux rivaux de Salmonée est arrêtée par un événement non moins violent que celui qui causa la perte de leur prototype ; c’est alors que les
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