La Prison d'Édimbourg
exercées contre le criminel. On aurait dit que sa haine dédaignait de se montrer avec l’expression bruyante de ses sentimens habituels. Un étranger qui n’aurait consulté que le témoignage de ses oreilles, aurait cru que cette multitude immense était réunie pour une cause qui l’affectait de douleur et de regret, et qui remplaçait par un morne silence le tumulte qu’on entend toujours dans de semblables réunions ; mais s’il s’en était rapporté à l’évidence de ses yeux, – le froncement des sourcils, les lèvres comprimées, les yeux ardens de colère de chaque spectateur, lui auraient appris qu’ils n’étaient là que pour se repaître d’un spectacle de vengeance. Peut-être la vue du criminel aurait-elle changé les dispositions du peuple ; peut-être aurait-il pardonné, en le voyant mourir, à l’homme contre lequel il nourrissait un si cruel ressentiment ; mais l’instabilité de ces sentimens ne devait pas être mise à cette épreuve.
L’heure indiquée pour l’exécution était déjà passée depuis quelque temps, et cependant le condamné n’arrivait point. – Oserait-on manquer à la justice publique ? se demandait-on de toutes parts, et la première réponse fut : On ne l’oserait. Cependant, en y réfléchissant mieux, on trouva des motifs de doute. Porteous avait toujours été le favori des magistrats, qui n’étaient pas fâchés de trouver un certain degré d’énergie dans les fonctionnaires qu’ils employaient. On se rappela que dans la défense de Porteous on avait fait valoir que c’était un homme sur lequel on pouvait toujours compter dans les occasions qui exigeaient de la force et de la résolution ; qu’on avait prétendu que sa conduite lors de l’exécution de Wilson ne devait être attribuée qu’à un excès de zèle imprudent pour assurer l’exécution des lois. Et si ces considérations pouvaient faire voir aux magistrats l’affaire de Porteous sous un jour favorable, ils n’en manqueraient pas d’autres pour le servir auprès du gouvernement.
La populace d’Édimbourg, quand elle se soulève, est la plus formidable de l’Europe. Elle s’était insurgée à plusieurs reprises, depuis quelques années, contre le gouvernement, et souvent même avec succès. Le peuple savait donc qu’il n’était pas en bonne odeur à la cour, et que si elle n’approuvait pas tout-à-fait la conduite du capitaine Porteous, elle pouvait craindre, en la punissant de la peine capitale, de rendre les officiers publics de cette ville à l’avenir moins fermes et moins zélés pour réprimer toute tentative de sédition. On sentait aussi que tout gouvernement a une tendance naturelle à soutenir les autorités qui émanent de lui, et il n’était pas impossible que ce qui paraissait aux parens et aux amis de ceux qui avaient été victimes des ordres sanguinaires du capitaine, un attentat abominable, un meurtre sans provocation, fût considéré sous un autre point de vue dans le cabinet de Saint-James. On pouvait y représenter que Porteous était dans l’exercice d’une fonction à lui confiée par une autorité légale ; enfin qu’assailli, ainsi que sa troupe, par la populace, obligé de repousser la force par la force, il n’avait agi que par le principe d’une défense personnelle et en accomplissant son devoir.
Ces considérations, très puissantes en elles-mêmes, finirent par faire penser qu’il pouvait bien avoir obtenu sa grâce. Aux différens motifs qui pouvaient avoir contribué à intéresser en sa faveur le gouvernement, les derniers rangs du peuple en ajoutaient un autre qui n’était pas le moins important à leurs yeux. On disait que, tandis qu’il punissait avec la dernière sévérité les moindres écarts du pauvre, non seulement il fermait les yeux sur la licence des jeunes nobles et des riches, mais qu’il les favorisait encore de toute son autorité.
Ce soupçon, peut-être fort exagéré, fit une profonde impression sur l’esprit de la populace, et comme plusieurs personnes de la haute classe avaient signé une pétition pour recommander Porteous à la clémence du roi, on supposa qu’elles avaient agi non dans la conviction qu’il fût injustement condamné, mais par crainte de perdre un complice commode de leurs désordres. On pense bien que cette idée ne put qu’augmenter la haine du peuple pour le coupable, et sa crainte de le voir échapper à la sentence prononcée contre lui.
Pendant que ces
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