La Régente noire
tête, comme si elle avait constaté, sur sa manchette, une simple tache d’encre ou de sauce.
Curieusement, Madame paraissait apaisée d’apercevoir enfin les rives de sa propre mort. Elle arbora un drôle d’air ironique, ordonna qu’on lui commît un prêtre et qu’au plus vite – au plus vite – on prévînt son fils.
— Je ne veux pas mourir... articula-t-elle.
Sa fille, soudain blanche comme les draps, crut que la phrase était finie ; elle ne l’était pas.
— Je ne veux pas mourir avant d’avoir béni le roi.
La régente s’assoupit. À son chevet, Marguerite adressa des prières ardentes à sa sainte patronne, mais aussi à saint Louis et à saint François, non pour sauver Madame – la peste n’autorisait aucun espoir – mais pour adoucir son trépas, en exauçant le plus cher de ses vœux : revoir son fils adoré avant de partir.
Pour lui, n’avait-elle pas tout bravé, tout osé ? Ne s’était-elle battue contre tous, et parfois même contre lui ? N’avait-elle usé sa santé en rapports, en conseils, en voyages, en audiences, en négociations si souvent éreintantes ? Tout cela pour lui !
Dès le début de l’après-dînée, la reine de Navarre avait envoyé des chevaucheurs à la recherche du roi, pour le prévenir de l’état de leur mère et l’enjoindre d’accourir à Grez, toute affaire cessante. Marguerite savait bien que son frère n’était pas à Fontainebleau : il avait accepté l’invitation du maréchal de Montmorency à venir chasser à Ecouen, non loin de Compiègne... Pourrait-on le joindre à temps ? Reverrait-il en vie cette mère qui n’attendait plus que sa visite pour mourir ?
Il y eut, près de la régente, des esprits cultivés pour noter que le donjon de Ganne avait été construit, jadis, par la mère attentive et passionnée d’un autre roi : Blanche de Castille.
Quand Madame revint à elle, ce fut pour déplorer l’absence de son César.
— Le roi... murmura-t-elle.
— François est en route, mentit Marguerite ; il ne doit plus être bien loin.
Cependant la mourante déclinait d’heure en heure. Les médecins accourus de Fontainebleau firent des difficultés pour approcher du lit : la contagion les rebutait. Ils se cachaient le nez derrière de longs cornets qui, à eux seuls, semblaient célébrer la peste, et incarnaient la mort aussi sûrement que les figurants d’une danse macabre.
— François, se lamentait Louise de Savoie. Mais que diable fait-il ?
— Il ne saurait tarder, maintenant...
La régente avait reçu un prêtre, un Cordelier, pour qu’il l’entendît en confession ; on les avait laissés seuls un couple d’heures ; puis les dames étaient rentrées, menées par la reine de Navarre. Alors Marguerite avait trouvé changé le visage de sa mère : certes, la malheureuse restait décharnée, exsangue – seuls ses yeux conservant leur flamme – mais à l’issue de cette longue confession, il semblait qu’elle eût retrouvé une paix durement gagnée. Ce n’était pas le cas du confesseur, que l’on avait vu ressortir de la chambre, courbé sous le poids des péchés qu’il s’était chargé d’absoudre... La bonne et digne fille ne put s’empêcher d’y songer : Madame avait-elle conservé par-devers elle des actes plus graves encore que ceux qu’elle n’avait jamais pris la peine de cacher ?
Quand ses forces l’eurent quittée tout à fait, et qu’elle ne fut plus capable de parler, Louise continua de lancer à sa fille une séquelle de regards implorants.
— Ma mère, demanda Marguerite en se penchant sur elle, la gorge serrée ; vous vouliez me dire quelque chose ?
— François ! eut-elle encore la force d’articuler.
Marguerite soupira longuement. Elle sentait une immense tristesse se former en elle. Regrets de ne pas voir entrer le frère tant réclamé ? Déception d’entendre cet ultime aveu de préférence pour un enfant pourtant moins fin, moins accompli ? Bien sûr, la reine de Navarre partageait l’engouement de sa mère pour ce monarque idéal ; elle allait jusqu’à l’aimer d’amour ! Pouvait-elle, toutefois, ne pas se sentir douloureusement exclue, dans un moment si poignant ?
Les petits chiens de Madame, trompant la garde d’une servante, avaient trouvé le chemin de la chambre et, sautant du marchepied jusqu’au lit, s’en vinrent lécher les mains de la régente, lui arrachant un dernier sourire.
François, lui, ne vint pas. Et le soir
Weitere Kostenlose Bücher