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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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m’avait toujours échappé. La veille de la remise des diplômes, elle m’attira dans sa chambre après une séance de cinéma, sous prétexte de faire mes adieux à ses colocataires. Je savais qu’elle espérait autre chose, mais ce soir-là, je le lui dis, le cœur n’y était pas. Les murs de sa chambre s’ornaient de trop de certitudes : les photos de famille, de vieux copains et du chien au pied de son lit dans le New Hampshire. Une dernière nuit au milieu de toutes ses étoiles fixes aurait souligné avec trop d’acuité mon existence en perpétuel mouvement.
    Pendant quelques semaines encore, nous suivîmes les derniers pas de l’enquête sur l’incendie de l’Ivy Club. Enfin, le vendredi précédant la remise des diplômes, comme si on avait programmé l’annonce pour clore définitivement cette année universitaire, les autorités locales déclarèrent que Richard Curry « pouvait être tenu pour responsable du déclenchement d’un incendie à l’intérieur de l’Ivy Club, causant la mort de deux hommes à l’intérieur du bâtiment ». À l’appui de cette thèse, ils avaient exhibé deux fragments d’une mâchoire correspondant au fichier dentaire de Curry. L’explosion de la canalisation de gaz n’avait pas épargné grand-chose.
    L’enquête restait toutefois ouverte et concernant le sort de Paul, rien n’était réglé. Je savais pourquoi. Trois jours après l’explosion, un enquêteur avait confié à Gil son espoir de retrouver Paul vivant ; on n’avait pour ainsi dire rien retiré des décombres et les quelques restes identifiables étaient ceux de Curry. Pleins d’espoir, nous avions attendu pendant quelques jours le retour de notre ami. Mais Paul ne s’était pas manifesté, n’était pas sorti des bois en titubant, n’avait pas été repéré après quelques jours d’amnésie dans l’un des lieux qu’il fréquentait naguère. Les enquêteurs comprirent un peu tard qu’il eût mieux valu se taire que de nous donner de fausses raisons d’y croire.
     
    On nous remit nos diplômes par une journée chaude et verte, sans un souffle de vent, comme si le week-end de Pâques n’avait pas existé. Dans la cour de Nassau Hall, où, assis avec mes camarades en toge et chapeau carré, j’attendais qu’on appelle mon nom, je vis même un papillon voleter tel un emblème intempestif Là-haut dans la tour, j’imaginais une cloche privée de son battant sonnant en silence : Paul célébrait notre succès dans les replis cachés de l’univers.
    Cette journée bruissait de fantômes. Des femmes en robe longue, quittant le bal de l’Ivy Club, dansant dans le ciel comme les anges de la Nativité pour annoncer la saison nouvelle. Des participants aux JO nus traversant la cour sans rougir, spectres d’une saison passée. Les bons mots latins d’un étudiant brillant, auxquels je ne comprenais rien. L’espace d’un instant, je me figurai que c’était Taft, sur l’estrade, qui prenait la parole ; Taft et, derrière lui, Francesco Colonna, et derrière eux un chœur de philosophes parcheminés chantant un refrain solennel, comme les apôtres saouls avaient entonné quelques semaines plus tôt leur marche militaire.
    Nous revînmes une dernière fois à la chambre, tous les trois, après la cérémonie. Charlie rentrait à Philadelphie, où il travaillerait comme ambulancier tout l’été avant son entrée en faculté de médecine. Il avait opté pour l’université de Pennsylvanie, après de longues tergiversations, afin de se rapprocher de ses parents, disait-il. Gil rassembla ses effets avec une fébrilité qui ne m’étonna qu’à moitié. Il m’avoua qu’il avait un avion à prendre ce soir-là, au départ de New York. Il allait passer quelque temps eu Europe. En Italie, rien de moins. Il avait besoin d’une pause pour reprendre ses esprits.
    Après que Gil s’en fut allé, Charlie et moi allâmes trier notre courrier. Dans la boîte aux lettres, quatre petites enveloppes de taille identique nous attendaient, renfermant les formulaires d’inscription à l’annuaire des anciens élèves. Je glissai le mien dans ma poche et conservai celui de Paul, dont le nom n’avait pas été rayé de notre promotion. Je me demandai si on lui avait préparé son diplôme, qui se trouvait désormais quelque part, en déshérence. Sur la quatrième enveloppe, adressée à Gil, le nom avait été barré et le mien inscrit à sa place. Reconnaissant l’écriture de Gil, je

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