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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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appeler Charlie toutes les semaines et à penser à Paul de plus en plus souvent. Je me dis parfois qu’il a eu raison de tirer sa révérence comme il l’a fait. Jeune. Attachant. Alors que, comme Richard Curry, nous autres commençons à souffrir des ravages du temps, des déceptions d’une jeunesse prometteuse. La mort est la seule échappatoire au temps, me semble-t-il. Peut-être Paul n’ignorait-il pas qu’il allait vaincre le passé, le présent, et tous les repères intermédiaires. Maintenant encore, il préside aux décisions les plus importantes de mon existence.
    Je le considère toujours comme mon ami le plus cher.

Chapitre 30
    Sans doute avais-je pris ma décision avant même de recevoir le colis par la poste. Et peut-être ce colis ne fut-il qu’un catalyseur, comme l’alcool renversé par Parker sur la piste de danse de l’Ivy Club, le soir du bal. Bientôt trente ans et je me sens déjà vieux. À la veille de la cinquième réunion de notre promotion, j’ai l’impression qu’il y a cinq décennies que j’ai quitté Princeton.
    Paul m’avait dit un jour : et si le présent n’était que le reflet de l’avenir ? Et si nous passions notre vie à contempler le miroir avec cet avenir dans le dos, et si nous ne le devinions que dans son reflet au présent ? On pourrait vouloir se retourner, pour mieux voir de quoi est fait demain. Mais on perdrait alors la clef de la perspective : on ne pourrait plus se voir soi-même. En tournant le dos au miroir, nous serions le seul élément de l’avenir que nos yeux n’arriveraient plus à discerner.
    À l’époque, je m’étais dit que Paul me répétait forcément un enseignement dispensé par Taft, lequel avait dû emprunter ce morceau de sagesse à un philosophe grec : l’idée que nous passions notre vie à reculer dans le futur. Ce que je ne pouvais pas voir, parce que je lorgnais du mauvais côté, c’est que Paul s’adressait à moi, qu’il parlait de moi. Pendant des années, je progressai dans l’existence à la poursuite de mon avenir, comme on me l’avait conseillé pour oublier le passé et aller de l’avant. J’avais respecté cette injonction au-delà de toute espérance. Je commençais même à croire que je comprenais très bien ce qu’avait traversé mon père, que les événements s’étaient ligués contre moi, sans raison, à l’instar de ce qu’il avait vécu.
    En réalité, j’avais tout faux. Je me retourne enfin pour faire face au présent et je découvre que je n’ai essuyé aucune des déceptions que mon père a subies. J’ai plutôt réussi dans un domaine auquel je ne connaissais rien et qui ne m’a jamais passionné. Mes supérieurs s’émerveillent du fait que, en cinq ans, je n’aie pas pris un jour de congé, alors même que je suis toujours le dernier à quitter le bureau. Évidemment, ils prennent cela pour du dévouement.
    Mon père n’a jamais rien fait qui ne le passionnait pas. Et même si je ne le connais pas plus qu’avant, je comprends mieux pourquoi, pendant toutes ces années, j’ai tourné le dos au miroir. C’était le meilleur moyen d’affronter la vie en aveugle, de passer à côté du monde tout en nourrissant la certitude d’avoir une emprise sur lui.
    Ce soir, longtemps après avoir quitté le bureau, j’ai démissionné. J’ai regardé le soleil se coucher sur Austin, réalisant soudain que je n’ai jamais vu de neige tomber ici, ni en avril ni en plein cœur de l’hiver. J’ai oublié la sensation de se glisser dans un lit si froid qu’on a envie de s’y presser contre un autre corps. Il fait tellement chaud au Texas qu’on peut se persuader que dormir seul est une bénédiction.
    Le colis m’attendait chez moi. Un petit cylindre de kraft adossé à ma porte, si léger que je crus un instant qu’il était vide. Dessus, il n’y avait d’inscrit que mon adresse et mon code postal. Pas d’expéditeur, seulement un numéro d’expédition. Était-ce l’affiche que Charlie prévoyait de m’envoyer : une reproduction d’Eakins, un rameur solitaire sur la rivière Schuylkill ? Il essayait de me convaincre de me rapprocher de Philadelphie, à l’en croire la ville idéale pour un garçon comme moi. Son fils réclamait souvent son parrain, prétendait-il. Au fond, Charlie pensait que j’allais doucement à la dérive et il cherchait par tous les moyens à me ramener à bon port.
    Je réservai l’examen du tube pour plus tard, après avoir épluché le

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