La Sibylle De La Révolution
accusera les
oiseaux ou les rats.
Avec une mauvaise volonté
évidente, les deux porteurs d’ordres abandonnèrent leurs piques et s’en furent
vers la Seine balancer le cadavre du monstre.
Vadier s’approcha de
Marie-Adélaïde et recouvrit de sa veste les épaules tremblantes de la jeune
femme.
— Viens ma chère, je vais te
raccompagner.
Elle obéit sans dire un mot,
les yeux fermés.
— Mais où donc la
ramènes-tu ? éclata Gabriel-Jérôme.
— Mais en prison, bien
sûr ! N’oublie pas, citoyen, qu’elle n’a bénéficié que d’une mesure
provisoire dans l’intérêt de la République. Mais ne t’inquiète pas pour elle,
je te promets qu’elle bénéficiera du même régime de faveur qu’avant.
Il n’en croyait pas ses
yeux : tout était allé si vite. Il se retrouvait seul, au pied des
remparts de Paris, trempé, sans bottes ni armes.
— Mais qu’est-ce que je vais
faire, moi ?
Le Grand Inquisiteur se
retourna une dernière fois en agitant son chapeau.
— Ce que tu fais de mieux,
citoyen. Un rapport. Et soigne-le bien car celui-là sera lu devant la
représentation nationale, je te le garantis.
Un rapport. Le couple disparut,
le laissant seul. Les soldats s’éloignaient, emportant leurs lanternes.
L’obscurité envahissait tout et des bancs de brume commençaient à monter du
fleuve.
« Ce n’est pas possible,
je suis en train de vivre un cauchemar. »
19
Le 27 prairial suivant, la
séance de la Convention nationale se trouvait présidée par Robespierre. Vadier
y assistait en tant que représentant du Comité de sûreté générale. Le
rapporteur Verdier s’éclaircit la voix et demanda le silence. L’assemblée, de
l’amphithéâtre aux étroites travées occupées par les députés jusqu’aux tribunes
dans les hauteurs où se pressait la foule des curieux, se tut car il existait
d’étranges bruits sur le rapport rédigé, disait-on, sous la supervision du
Grand Inquisiteur lui-même.
Le rapporteur commença d’une
voix à la fois rauque et monotone :
— Je viens vous dénoncer,
au nom de vos Comités de sûreté générale et de salut public réunis, une école
primaire de fanatisme, découverte dans la rue Contrescarpe, section de l’Observatoire,
n°10 au troisième étage. C’est là que réside une fille âgée de soixante-neuf
ans, nommée Catherine Théos qui ose s’appeler la mère de Dieu. On sait que le
mot grec « Théos » signifie la divinité, comme Jéhovah, Adonaï et
beaucoup d’autres qui expriment les divers attributs de l’Être suprême. On voit
dans ce réduit un essaim nombreux de bigotes et de nigauds se grouper autour de
cette ridicule pagode ; on y voit aussi quelques chefs de file plus
dangereux encore : ce sont des demi-savants, des médecins, des hommes de
loi, des capitalistes oisifs qui, détestant la Révolution, se mêlent à ces
momeries avec des intentions perfides. On y voit des mesmériens, des illuminés,
de ces cagots atrabilaires et vaporeux qui, avec un cœur froid pour la patrie,
ont la tête assez chaude et bien disposée à la troubler ou à la trahir. Il y en
a chez qui on a trouvé des correspondances à Londres avec des prêtres immigrés.
On remarque surtout qu’il n’y a pas un seul patriote dans cette bande :
elle n’est composée que de royalistes, d’usuriers, de fous, d’égoïstes, de
muscadins, de contre-révolutionnaires des deux sexes.
Après un silence théâtral,
pendant lequel plusieurs députés s’entreregardèrent, surpris, il
continua :
— La mère Catherine est le
pivot de cette société dangereuse, elle se dit inspirée de Dieu, et promet en
son nom l’immortalité de l’âme et du corps à ceux qu’elle aura initiés dans ses
mystères. La réception de ces élus n’est pas moins ridicule que sa doctrine. Il
faut être en état de grâce, faire abnégation des plaisirs temporels pour
approcher de la sainte mère ; on se prosterne devant elle, et ses élus
deviennent immortels lorsqu’ils ont baisé par sept fois la face vénérable de
cette prétendue mère du Verbe.
On commença à pouffer dans la
salle, car le sérieux inébranlable que le rapporteur Verdier mettait dans la
lecture du rapport rendait encore plus plaisantes les affirmations grotesques
qui s’y trouvaient.
— Ces baisers mystérieux se
distribuent en forme circulaire : on en fait deux au front, deux aux
tempes, deux aux joues ; mais le septième, qui est le complément
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