La Sibylle De La Révolution
des sept
dons du Saint-Esprit, s’applique respectueusement sur le menton de la
prophétesse, que les catéchumènes sucent avec une sorte de volupté.
On riait tellement qu’il
devenait difficile d’entendre le rapporteur, d’autant qu’avec la plus grande
rigueur celui-ci mimait avec application et sans une once d’humour les fameux
baisers.
— Ce dernier baiser est encore
le symbole des sept sceaux de l’Apocalypse, des sept plaies d’Égypte, des sept
sacrements de la loi nouvelle, des sept allégresses et des sept douleurs de la
Vierge, car tout va par sept dans le jargon mystique des prédictions et des
oracles.
Gabriel-Jérôme, qui avait
revêtu son uniforme de secrétaire rapporteur, écoutait le discours avec
stupéfaction. Il n’y avait là rien de son rapport à part peut-être quelques
faits qu’on pouvait considérer comme amusants sortis de leur contexte. Vadier
et Barère avaient délibérément choisi de rendre toute cette affaire ridicule,
mais dans quel but ? Pourquoi, dans ce cas, en faire part si
solennellement à la représentation nationale ?
Le rapporteur continua encore à
fustiger les étranges coutumes de la mère de Dieu, au grand amusement des
députés. On n’avait certes pas si bien ri depuis longtemps dans cette salle de
la Convention, faite de bric et de broc, véritable théâtre improvisé, où l’on
trouvait d’immenses drapeaux, La Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen , d’austères décors peints en grisaille, des colonnes de faux
marbres et une immense inscription La Loi . L’homme passa à un autre
sujet :
— Le moral de l’institution, le
substantiel de sa doctrine, l’explication du sens des oracles, des prophéties
et des écritures, tout cela est confié à des mains plus exercées et bien plus dangereuses.
C’est un ex-moine qui est chargé de cette partie. Ce moine est le nommé dom
Antoine-Christophe Gerle, ex-chartreux, député à la Constituante.
Sénart, qui se tenait dans une
des corbeilles les plus basses et donc les plus proches des députés, dressa
l’oreille : on attaquait un sujet bien plus intéressant. Mais là encore,
il fut déçu : le rapporteur, après avoir rappelé les premiers éclats de
Gerle à la Constituante, cita quelques-unes des lettres que lui adressait la
mère de Dieu :
Ô Gerle, cher fils Gerle, chéri
de Dieu, digne amour du Seigneur… C’est sur ta tête, sur ce front paisible où
doit être posé le diadème digne de ta candeur… Vis à jamais, cher frère, dans
le cœur de tes deux petites sœurs… Elles t’engagent à venir déjeuner avec elles
demain, jour de décadi, sur les neuf heures et demie, ni plus tôt ni plus tard…
Mille choses agréables au cher fils de la part de ses deux colombes.
Le curriculum vitae du moine
avait un peu calmé les esprits, mais la lecture de la lettre souleva de nouveau
l’hilarité. Tout le monde riait : le public, les huissiers, les gardes,
les députés, la Montagne et le Marais. Sénart remarqua cependant que deux
personnes ne partageaient pas la bonne humeur générale : Verdier, d’abord,
qui imperturbablement conservait tout le sérieux dévolu à sa fonction, et
surtout le président de la séance. Froid, impénétrable sur sa tribune, derrière
sa table soutenue par quatre sphinx dorés. Il serrait les dents de manière
qu’on ne puisse deviner ses pensées. Néanmoins, le regard qu’il jetait parfois
sur Vadier ou Barère en disait long sur ses sentiments.
Vadier intervint d’ailleurs
lui-même sur un ton goguenard :
— On lit ailleurs : Ni
culte, ni prêtre, ni roi ; car la nouvelle Eve, c’est toi. Cela
s’applique clairement à Catherine Théos, c’est la nouvelle Ève dont Gerle a entendu
parler ; c’est elle qui donne à ses élus l’immortalité corporelle, et qui
anéantit pour eux l’empire de la mort. C’est à Paris qu’elle a fixé son
trône ; c’est cette heureuse cité que le moine invite à se lever et à marcher
sans crainte sur les pas de la vérité qui l’éclaire…
Et il continua longtemps sur le
même registre. Il dénonça des comparses, évoqua des lettres suspectes, des
portraits du soi-disant Louis XVII, les prophéties de Nostradamus, la clavicule
du rabbi Salomon. Aucun mot sur le fils de Dieu. Aucun mot sur le messie
attendu par la Théos. Et surtout aucun mot sur Saint-Martin, le Philosophe
inconnu, sur les frères de l’ombre, ni sur la monstrueuse créature qui avait
semé
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