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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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absolu qu'elle avait de le voir ? Cet aveu, exprimé par le sang, les blessures, plus qu'aucune parole, devait aller au cœur. C'était un abaissement. Mais qui n'en aurait eu pitié ? Elle avait donc un moment de nature, cette innocente personne ? Dans sa vie courte et malheureuse, la pauvre jeune sainte, si étrangère aux sens, avait donc une heure de faiblesse ? Ce qu'il avait eu d'elle à son insu, qu'était-ce ? Peu ou rien. Avec l'âme, la volonté, il allait avoir tout.
    La Cadière est fort brève, comme on peut croire, sur tout cela. Dans sa déposition, elle dit publiquement qu'elle perdit connaissance et ne sut trop ce qui se passa. Dans un aveu à son amie la dame Allemand (p. 178), sans se plaindre de rien, elle fait tout comprendre.
    En retour d'un si grand élan de cœur, d'une si charmante impatience, que fit Girard ? Il la gronda. Cette flamme qui eût gagné tout autre, l'eût embrasé, le refroidit. Son âme de tyran ne voulait que des mortes, purs jouets de sa volonté. Et celle-ci, par cette forte initiative, l'avait forcé de venir. L'écolière entraînait le maître. L'irritable pédant traita cela comme il eût fait d'une révolte de collège. Ses sévérités libertines, sa froideur égoïste dans un plaisir cruel, flétrirent l'infortunée, qui n'en eut rien que le remords.
    Chose non moins choquante. Le sang versé pour lui n'eut d'autre effet que de lui sembler bon à exploiter pour son intérêt propre. Dans cette entrevue, la dernière peut-être, il voulut s'assurer la pauvre créature au moins pour la discrétion, de sorte qu'abandonnée de lui, elle se crût encore à lui. Il demanda s'il serait moins favorisé que le couvent qui avait vu le miracle. Elle se fit saigner devant lui. L'eau dont il lava ce sang, il en but et lui en fit boire 34. , et il crut avoir lié son âme par cette odieuse communion.
    Cela dura deux ou trois heures, et il était près de midi. L'abbesse était scandalisée. Elle prit le parti de venir elle-même avec le dîner, et de faire ouvrir la porte. Girard prit du thé ; comme c'était vendredi, il faisait croire qu'il jeûnait, s'étant sans doute bien muni à Toulon. La Cadière demanda du café. La sœur converse, qui était à la cuisine, s'en étonnait dans un tel jour (p. 86). Mais, sans ce fortifiant, elle aurait défailli. Il la remit un peu, et elle retint Girard encore. Il resta avec elle (il est vrai, non plus enfermé) jusqu'à quatre heures, voulant effacer la triste impression de sa conduite du matin. A force de mensonges d'amitié, de paternité, il raffermit un peu la mobile créature, lui rendit la sérénité. Elle le conduisit au départ, et, marchant derrière, elle lit, en véritable enfant, deux ou trois petits sauts de joie. Il dit sèchement : « Petite folle ! » (P. 89.)
     
    Elle paya cruellement sa faiblesse. Le soir même, à neuf heures, elle eut une vision terrible, et on l'entendit crier : « O mon Dieu, éloignez-vous... Retirez-vous de moi ! » Le 8 au matin, à la messe, elle n'attendit pas la communion (s'en jugeant sans doute indigne), et se sauva dans sa chambre. Grand scandale. Mais elle était si aimée, qu'une religieuse qui courut après elle, par un compatissant mensonge, jura qu'elle avait vu Jésus qui la communiait de sa main.
    Madame Lescot, finement, habilement, écrivit en légendes, comme éjaculations mystiques, pieux soupirs, dévotes larmes, tout ce qui s'arrachait de ce cœur déchiré. Il y eut, chose bien rare, une conspiration de tendresse entre des femmes pour couvrir une femme. Rien ne parle plus en faveur de la pauvre Cadière et de ses dons charmants. En un mois, elle était déjà comme l'enfant de toutes. Quoi qu'elle fit, on la défendait. Innocente quand même , on n'y voyait qu'une victime des assauts du démon. Une bonne forte femme du peuple, fille du serrurier d'Ollioules et tourière du couvent, la Matherone, ayant vu certaines libertés indécentes de Girard, n'en disait pas moins : « Ça ne fait rien ; c'est une sainte. » Dans un moment où il parlait de la retirer du couvent, elle s'écria : « Nous ôter mademoiselle Cadière !... Mais je ferai faire une porte de fer pour l'empêcher de sortir ! » (P. 47, 48, 50.)
    Ses frères qui venaient chaque jour, effrayés de la situation, et du parti que l'abbesse et ses moines pouvaient en tirer, osèrent aller au-devant, et, dans une lettre ostensible, écrite à Girard au nom de la Cadière, rappelèrent la

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