Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
Vom Netzwerk:
humblement de quitter ce nid de colombes, ce trop doux lit, cette délicatesse, d'avoir la vie commune des novices ou pensionnaires.
    Grande surprise. Mortification. L'abbesse se crut dédaignée, se dépita contre l'ingrate et ne lui pardonna jamais.
    La Cadière trouva dans les autres un excellent accueil. La maîtresse des novices, madame de Lescot une religieuse parisienne, fine et bonne, valait mieux que l'abbesse. Elle semble avoir compris ce qu'elle était, une pauvre victime du sort, un jeune cœur plein de Dieu, mais cruellement marqué de fatalités excentriques qui devaient la précipiter à la bonté, à quelque fin sinistre. Elle ne fut occupée que de la garder, de la préserver de ses imprudences, d'interpréter, d'excuser ce qui pouvait être en elle de moins excusable.
    Sauf les deux ou trois nobles dames qui vivaient avec les moines et goûtaient peu les hautes mysticités, toutes l'aimèrent et la prirent pour un ange du ciel. Leur sensibilité, peu occupée, se concentra sur elle et n'eut plus d'autre objet. Elles la trouvaient non-seulement pieuse et surnaturellement dévote, mais bonne enfant, bon cœur, gentille et amusante. On ne s'ennuyait plus. Elle les occupait, les édifiait de ses songes, de contes vrais, je veux dire sincères, toujours mêlés de pure tendresse. Elle disait : « Je vais la nuit partout, jusqu'en Amérique. Je laisse partout des lettres pour dire qu'on se convertisse. Cette nuit, j'irai vous trouver, quand même vous vous enfermeriez. Nous irons ensemble dans le Sacré-Cœur. »
    Miracle. Toutes, à minuit, recevaient, disaient-elles, la charmante visite. Elles croyaient sentir la Cadière qui les embrassait, les faisait entrer dans le Cœur de Jésus (p. 81, 89, 93). Elles avaient bien peur et étaient heureuses. La plus tendre et la plus crédule était une Marseillaise, la sœur Raimbaud, qui eut ce bonheur, quinze fois en (rois mois, c'est-à-dire à peu près tous les six jours.
    Pur effet d'imagination. Ce qui le prouve, c'est qu'au même moment, la Cadière était chez toutes à la fois. L'abbesse cependant fut blessée, d'abord étant jalouse et se croyant seule exceptée, ensuite sentant bien que, toute perdue qu'elle fût dans ses rêves, elle n'apprendrait que trop par tant d'amies intimes les scandales de la maison.
    Ils n'étaient guère cachés. Mais, comme rien ne pouvait venir à la Cadière que par voie illuminative, elle crut les savoir par révélation. Sa bonté éclata. Elle eut grande compassion de Dieu qu'on outrageait ainsi. Et, cette fois encore, elle se figura qu'elle devait payer pour les autres, épargner aux pécheurs les châtiments mérités en épuisant elle-même ce que la fureur des démons peut infliger de plus cruel.
    Tout cela fondit sur elle le 25 juin, jour de la Saint-Jean. Elle était le soir avec les sœurs au noviciat. Elle tomba à la renverse, se tordit, cria, perdit connaissance. Au réveil, les novices l'entouraient, attendaient, curieuses de ce qu'elle allait dire. Mais la maîtresse, madame Lescot, devina ce qu'elle dirait, sentit qu'elle allait se perdre. Elle l'enleva, la mena tout droit à sa chambre, où elle se trouva tout écorchée et sa chemise sanglante.
    Comment Girard lui manquait-il au milieu de ces combats intérieurs et extérieurs ? Elle ne pouvait le comprendre. Elle avait besoin de soutien. Et il ne venait pas, tout au plus au parloir, rarement et pour un moment.
    Elle lui écrit le 28 juin (par ses frères, car elle lisait, mais elle savait à peine écrire). Elle l'appelle de la manière la plus vive, la plus pressante. Et il répond par un ajournement. Il doit prêcher à Hyères, il a mal à la gorge, etc.
    Chose inattendue, ce fut l'abbesse même qui le fit venir. Sans doute elle était inquiète de ce que la Cadière avait découvert de l'intérieur du couvent. Sûre qu'elle en parlerait à Girard, elle voulut la prévenir. Elle écrivit au jésuite un billet le plus flatteur et le plus tendre (3 juillet, p. 327), le priant que, quand il viendrait, il la visitât d'abord, voulant être, en grand secret, son élève, son disciple, comme le fut de Jésus l'humble Nicodème. « Je pourrai à peu de bruit faire de grands progrès à la vertu, sous votre direction, à la faveur de la sainte liberté que me procure mon poste. Le prétexte de notre prétendante me servira de couvert et de moyen (p. 327). »
    Démarche étonnante et légère, qui montre dans l'abbesse une tête peu saine. N'ayant

Weitere Kostenlose Bücher