La Sorcière
révélation qu'elle avait eue, le 25 juin, sur les mœurs des Observantins, lui disant « qu'il était temps d'accomplir sur cette affaire les desseins de Dieu » (p. 330), — sans doute de demander qu'on fit une enquête, d'accuser les accusateurs.
Audace excessive, imprudente. La Cadière presque mourante était bien loin de ces idées. Ses amies imaginèrent que celui qui avait fait le trouble ferait le calme peut-être. Elles prièrent Girard de venir la confesser. Ce fut une scène terrible. Elle fit au confessionnal des cris, des lamentations, qu'on entendait à trente pas. Les curieuses avaient beau jeu d'écouter, et n'y manquaient pas. Girard était au supplice. Il disait, répétait en vain : « Calmez-vous, mademoiselle ! » (P. 95.) — Il avait beau l'absoudre. Elle ne s'absolvait pas. Le 12, elle eut sous le cœur une douleur si aiguë qu'elle crut que ses côtes éclataient. Le 14, elle semblait à la mort, et on appela sa mère. Elle reçut le viatique. Le lendemain, « elle fit une amende honorable, la plus touchante, la plus expressive qui se soit jamais entendue. Nous fondions en larmes » (p. 330-331). Le 20, elle eut une sorte d'agonie, qui perçait le cœur. Puis, tout à coup, par un revirement heureux et qui la sauva, elle eut une vision très-douce. Elle vit la pécheresse Madeleine pardonnée, ravie dans la gloire, tenant dans le ciel la place que Lucifer avait perdue (p. 332).
Cependant Girard ne pouvait assurer sa discrétion qu'en la corrompant davantage, étouffant ses remords. Parfois, il venait (au parloir), l'embrassait fort imprudemment. Mais le plus souvent encore, il lui envoyait ses dévotes. La Guiol et autres venaient l'accabler de caresses et d'embrassades, et quand elle se confiait, pleurait, elles souriaient, disaient que tout cela c'étaient les libertés divines, qu'elles aussi en avaient leur part et qu'elles étaient de même. Elles lui vantaient les douceurs d'une telle union entre femmes. Girard ne désapprouvait pas qu'elles se confiassent entre elles et missent en commun les plus honteux secrets. Il était si habitué à cette dépravation, et la trouvait si naturelle, qu'il parla à la Cadière de la grossesse de mademoiselle Gravier. Il voulait qu'elle l'invitât à venir à Ollioules, calmât son irritation, lui persuadât que cette grossesse pouvait être une illusion du diable qu'on saurait dissiper (p. 395).
Ces enseignements immondes ne gagnaient rien sur la Cadière. Ils devaient indigner ses frères qui ne les ignoraient pas. Les lettres qu'ils écrivent en son nom sont bien singulières. Enragés au fond, ulcérés, regardant Girard comme un scélérat, mais obligés de faire parler leur sœur avec une tendresse respectueuse, ils ont pourtant des échappées où on entrevoit leur fureur.
Pour les lettres de Girard, ce sont des morceaux travaillés, écrits visiblement pour le procès qui peut venir. Nous parlerons de la seule qu'il n'ait pas eue en main pour la falsifier. Elle est du 22 juillet. Elle est aigre-douce, galante, d'un homme imprudent, léger. En voici le sens :
« L'évêque est arrivé ce matin à Toulon et ira voir la Cadière... On concertera ce qu'on peut faire et dire. Si le grand vicaire et le P. Sabatier vont la voir et demandent à voir (ses plaies), elle dira qu'on lui a défendu d'agir, de parler.
J'ai une grande faim de vous revoir et de tout voir . Vous savez que je ne demande que mon bien . Et il y a longtemps que je n'ai rien vu qu'à demi (il veut dire, à la grille du parloir). Je vous fatiguerai ? Eh bien, ne me fatiguez-vous pas aussi ? » etc.
Lettre étrange en tous les sens. Il se défie à la fois et de l'évêque, et du jésuite même, de son collègue, le vieux Sabatier. C'est au fond la lettre d'un coupable inquiet. Il sait bien qu'elle a en main ses lettres, ses papier, enfin de quoi le perdre.
Les deux jeunes gens répondent au nom de leur sœur par une lettre vive, la seule qui ait un accent vrai. Ils répondent ligne par ligne, sans outrage, mais avec une âpreté souvent ironique où l'on sent l'indignation contenue. Leur sœur y promet de lui obéir, de ne rien dire à l'évêque ni au jésuite . Elle le félicite d'avoir « tant de courage, pour exhorter les autres à souffrir ». Elle relève, lui renvoie sa choquante galanterie, mais d'une manière choquante (on sent là une main d'homme, la main des deux étourdis).
Le surlendemain, ils allèrent lui dire qu'elle voulait
Weitere Kostenlose Bücher