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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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pas réussi à supplanter Girard auprès de la Cadière, elle entreprenait de supplanter la Cadière auprès de Girard. Elle s'avançait, sans préface et brusquement. Elle tranchait, en grande dame, agréable encore, et bien sûre d'être prise au mot, allant jusqu'à parler de la liberté qu'elle avait !
    Elle était partie, dans cette fausse démarche, de l'idée juste que Girard ne se souciait plus guère de la Cadière. Mais elle aurait pu deviner qu'il avait à Toulon d'autres embarras. Il était inquiet d'une affaire où il ne s'agissait plus d'une petite fille, mais d'une dame mûre, aisée, bien posée, la plus sage de ses pénitentes, mademoiselle Gravier. Ses quarante ans ne la défendirent pas. Il ne voulut pas au bercail une brebis indépendante. Un matin, elle fut surprise, bien mortifiée, de se trouver enceinte, et se plaignit fort (juillet, p. 395).
    Girard, préoccupé de cette nouvelle aventure, vit froidement les avances si inattendues de l'abbesse. Il craignit qu'elles ne fussent un piège des Observantins. Il résolut d'être prudent, vit l'abbesse, déjà embarrassée de sa démarche imprudente, vit ensuite la Cadière, mais seulement à la chapelle, où il la confessa.
    Celle-ci fut blessée sans doute de ce peu d'empressement. Et en effet cette conduite était étrange, d'extrême inconséquence. Il la troublait par des lettres légères, galantes, de petites menaces badines qu'on aurait pu dire amoureuses ( Dépos. Lescot , et p. 335). et puis il ne daignait la voir autrement qu'en public.
    Dans un billet du soir même, elle s'en venge assez finement, en lui disant qu'au moment où il lui a donné l'absolution, elle s'est sentie merveilleusement détachée et d'elle-même et de toute créature .
    C'est ce qu'aurait voulu Girard. Ses trames étaient fort embrouillées, et la Cadière était de trop. Il fut ravi de sa lettre, bien loin d'en être piqué, lui prêcha le détachement . Il insinuait en même temps combien il avait besoin de prudence. Il avait reçu, disait-il, une lettre où on l'avertissait sévèrement de ses fautes. Cependant, comme il partait le jeudi 6 pour Marseille, il la verrait en passant (p. 329, 4 juillet 1730).
    Elle attendit. Point de Girard. Son agitation fut extrême. Le flux monta ; ce fut comme une mer, une tempête. Elle le dit à sa chère Raimbaud, qui ne voulut pas la quitter, coucha avec elle (p. 73) contre les règlements, sauf à dire qu'elle y était venue le matin. C'était la nuit du 6 juillet, de chaleur concentrée, pesante, en ce four étroit d'Ollioules. A quatre ou cinq heures, la voyant se débattre dans de vives souffrances, elle « crut qu'elle avait des coliques, chercha du feu à la cuisine ». Pendant son absence, la Cadière avait pris un moyen extrême qui sans doute ne pouvait manquer de faire arriver Girard à l'instant. Soit qu'elle ait rouvert de ses ongles les plaies de la tête, soit qu'elle ait pu s'enfoncer la couronne à pointes de fer, elle se mit tout en sang. Il lui coulait sur le visage en grosses gouttes. Sous cette douleur, elle était transfigurée et ses yeux étincelaient.
    Cela ne dura pas moins de deux heures. Les religieuses accoururent pour la voir dans cet état, admirèrent. Elles voulaient faire entrer leurs Observantes ; la Cadière les en empêcha.
    L'abbesse se serait bien gardée d'avertir Girard pour la voir dans cet état pathétique, où elle était trop touchante. La bonne madame Lescot lui donna cette consolation et fit avertir le Père. Il vint, mais au lieu de monter, en vrai jongleur, il eut lui-même une extase à la chapelle, y resta une heure prosterné à deux genoux devant le Saint-Sacrement (p. 95). Enfin, il monte, trouve toutes les religieuses autour de la Cadière. On lui conte qu'elle avait paru un moment comme si elle était à la messe, qu'elle semblait remuer les lèvres pour recevoir l'hostie. « Qui peut le savoir mieux que moi ! dit le fourbe. Un ange m'avait averti. J'ai dit la messe, et je l'ai communiée de Toulon. » Elles fuient renversées du miracle, à ce point que l'une d'elles en resta deux jours malade. Girard s'adressant alors à la Cadière avec une indigne légèreté : « Ah ! ah ! petite gourmande, vous me volez donc moitié de ma part. »
    On se retire avec respect ; on les laisse. Le voici en face de la victime sanglante, pâle, affaiblie, d'autant plus agitée. Tout homme aurait été ému. Quel aveu plus naïf, plus violent de sa dépendance, du besoin

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